...par Alberta Da Nicolo Salmazo
La deuxième conférence du cycle Mantegna avait des airs de bilan. L'intervention de l'historienne de l'art et professeur à l'université de Padoue, à qui on doit aussi la monographie sur le peintre parue aux prestigieuses éditions Citadelles et Mazenod en 2004, relatait les dernières avancées du chantier de restauration des fresques ruinées de l'église padouane des Eremitani, où Mantegna réalisa dès l'âge de 17 son premier chef-d'œuvre, hélas réduit à l'état de fragments par un bombardement aérien le 11 mai 1944. Mme Da Nicolo Salmazo connaît bien cette victime artistique de la seconde guerre mondiale puisqu'elle travaille depuis 2001 à la lente remise en place des multiples fragments ornant autrefois la chapelle.
Dans son testament, Antonio Ovetari demandait à ce qu'on peigne sur les murs de sa chapelle les saints auxquels était consacré le lieu, Christophe et Jacques. Son souhait fut exaucé le 16 mai 1448, date du contrat signé par deux artistes de Venise, Giovanni d'Allemagna et Alvise Vivarini (collaborant alors tous deux au sein l'atelier le plus actif de la Cité des Doges, à part celui des Bellini), et deux disciples du peintre padouan Nicolo Pizzolo et le précoce Mantegna. Ce dernier n'en était pourtant pas à son coup d'essai, puisqu'il avait alors réalisé en 1548, l'année même du départ fracassant de l'atelier de son maître, un retable pour l'église dédié à sainte Sophie à Padoue. Ce petit groupe de peintres avait déjà sous les yeux des ensembles locaux insignes, dont la chapelle Scrovegni peinte par Giotto au début du XIVe siècle. Néanmoins, la solution proposée par nos artistes appartient pleinement à la Renaissance par son travail de l'espace, qui explore la profondeur à la façon des reliefs qu'avait laissés Donatello dans la basilique de la ville. Le plus sensible à cette manière sculpturale n'est autre que Mantegna, qui finalement réalise la majeure partie des peintures.
Par un concours de circonstances assez singulier, le tout jeune artiste fut amené en effet à peindre la majeure partie des peintures de la chapelle Ovetari, dont les trois compositions ayant survécu à la seconde guerre mondiale (les deux scènes murales de la vie de saint Christophe en bas de la paroi, ainsi que le retable du maître-autel représentant l'Assomption). La mort de Giovanni d'Allemagna en 1450 requit la participation de deux nouveaux peintres, connus sous le nom de Bono da Ferrara et Ansuino da Forli, dont on perd très vite la trace, alors qu'Antonio Vivarini quitte lui aussi le chantier (parce qu'il se sent dépassé face à la nouvelle génération ? c'est l'hypothèse avancée par Alberta Da Nicolo Salmazo). Les deux artistes restant, à savoir Mantegna et son ancien condisciple chez Squarcione, Pizzolo, se partagent le travail. Au premier revient la paroi gauche illustrant la vie de saint Jacques (à l'exception du martyre devant être exécuté par Pizzolo), où chaque épisode est encadré par une corniche en faux marbre et mise en scène avec de fortes perspectives da sotto in su, pour accentuer l'impression qu'a le spectateur d'être le témoin direct de ces événements. Une seule étude dessinée de Mantegna pour le cycle nous est parvenue : elle représente le Miracle de Josias, avec un rendu des volumes uniquement par la lumière et les ombres. L'abside, quant à elle, fut peinte par Pizzolo, qui se démarque de son illustre collègue par un style plus expressif et moins ordonné, mais n'eut guère le temps d'exécuter davantage de compositions car il mourut en 1452. La genèse aussi compliquée des fresques de la chapelle Ovetari s'explique donc par cette succession d'intervenants sur le chantier qui, au final, laisse Mantegna seul dans la réalisation.
Alors qu'il vient à peine de quitter l'atelier du maître, notre artiste est déjà pleinement en possession de ses moyens picturaux_ en forçant le trait, on pourrait presque dire que tout le génie de Mantegna se trouve déjà dans cette chapelle. Cela est particulièrement frappant avec l'Assomption qu'il peintre pour l'autel, un tableau remarquable par sa perspective vertigineuse par en-dessous et la solennité dont est investie la Vierge montant aux cieux. Par la suite, les œuvres "ascensionnelles" de Mantegna développeront le thème à partir de ce remarquable exemplaire de jeunesse. Dans les deux compositions préservées de la vie de saint Christophe, réunies par une corniche, l'artiste démontre pareillement sa capacité virtuose à mettre en scène un espace, à l'aide de ressorts dramatiques insoupçonnés : dans le Martyre, la pergola renforce l'aspect tragique du moment en encadrant la scène du meurtre, tandis l'Enlèvement du corps exploite les jambes du géant pour creuser la profondeur. Paré d'une telle aura, Mantegna ne devait rester qu'une dizaine d'années à Padoue, avant d'être remarqué par les Gonzague qui surent, eux aussi, mettre à contribution sa virtuosité de fresquiste...
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