vendredi 25 décembre 2009

Joyeux Noël !


El Greco, Adoration des bergers, 1612-1614, huile sur toile, 319x180 cm, Madrid, Museo del Prado

dimanche 20 décembre 2009

Fellini, la Grande Parade : exposition à Paris, Galeries du Jeu de Paume

Prononcez le nom de Fellini et soudain viennent à l'esprit des personnages inénarrables_ une matrone grasse et sévère, quelques gamins gouailleurs, d'intrigantes prostituées_, des films devenus pour la plupart des classiques_ de La Strada à Intervista, en passant bien sûr par La Dolce Vita_, et puis des acteurs inoubliables_ au premier rang desquels, la sculpturale Anita Ekberg et l'incarnation masculine de la classe à l'italienne, alias Marcello Mastroianni. Un univers complexe, parfois interlope, souvent touchant, habilement résumé par ce qualificatif de fellinien. L'œuvre fécond du cinéaste, couvrant presque toute la seconde moitié du XXe siècle, a donné lieu à un grand nombre d'ouvrages, alors que rares sont les expositions à avoir entrepris d'explorer l'univers de ce génie visuel. Il est vrai qu'exposer le cinéma ne va pas forcément de soi, et demande une certaine souplesse par rapport aux procédés muséographiques habituels. Confinant parfois au tour de force, l'hommage rendu par le Jeu de Paume sonne assez juste, évitant l'écueil d'une biographie trop plate ou bien d'un regard exclusivement technique. Le voyage en Fellini mène, à travers un ensemble de séquences thématiques, vers les obsessions (et pas uniquement sexuelles !) du maître, ses sources d'inspiration et surtout la place qu'il accorde à l'image, trame essentielle de sa création. Fellini la Grande Parade propose plus qu'un retour sur l'un des plus grands cinéastes italiens : c'est également une interrogation sur les transformations de l'image et leurs répercussions souvent profondes sur les pratiques sociales et les arts visuels, car le cinéma de Fellini se nourrit aussi bien du spectacle de variété que du photojournalisme ou de de la publicité.


Bien qu'il doit être considéré comme le cinéaste romain par excellence, Federico Fellini naît en 1920 à Rimini, où commence aussi sa première activité artistique : la caricature. Le miroir déformant son quotidien lui fait voir des femmes bien charnues et autres poncifs qui passeront peu après de la petite feuille au grand écran_ projection de sa propre existence, essentielle dans sa production cinématographique. Peu après l'installation à Rome en 1943, la rencontre avec Rossellini l'oriente définitivement vers le septième art. Fellini collabore avec le chantre du néo-réalisme en écrivant d'abord des scénarios. Sa participation à l'écriture de Rome ville ouverte en 1945, notamment, lui offre ses premiers succès dans le domaine, avant de passer derrière la caméra en 1950. C'est l'année de Feux du music-hall, première fantaisie sur l'ivresse de la vie selon Fellini. La suite de sa carrière sera jalonnée de véritables triomphes et autres audaces, difficiles à expliciter en quelques salles ou extraits de films. S'il fallait résumer brièvement et bien imparfaitement le génie de Fellini, on invoquerait sans peine cette transcendance capricieuse du réel, à tel point qu'il est difficile de démêler la fiction de la vie, ambivalence qu'on retrouve aussi avec la biographie du cinéaste et sa réinterprétation perpétuelle. Fellini, émule de Shakespeare ? Peut-être, mais avec la gouaille et la désinvolture du microcosme romain. Il faudrait également insister sur sa grande capacité à explorer les tensions entre tradition et nouveauté dans la société mouvante des Trente Glorieuses, et notamment la réponse esthétique que doit apporter le cinéma à la tentation vulgaire de certains médias. Au populisme, Fellini oppose le populaire.


Très attentif à l'émergence de la contre-culture, il a donné une part importante aux nouveaux courants musicaux, dès sa première œuvre (co-réalisée avec Alberto Lattuada) avec ses danses gentiment lascives. Quand sort La Dolce Vita en 1960, le rock'n'nroll secoue l'Europe et les États-Unis : en guise d'écho, l'une des scènes les plus festives du film fait la part belle aux déhanchements endiablés de la jeunesse dorée. Alors qu'Elvis se déchaînait sur Jailhouse Rock, son homologue italien fait danser dans les thermes de Caracalla, décor quasi surréaliste mais ô combien enchanteur, à peine moins qu'Anita Ekberg dans sa robe moulante...Un quart de siècle après, Intervista s'intéresse à un rock désormais boursouflé de tous les tics du show business des années 1980_ érotisme outrancier, manifestation de violence à la limite du risible, matérialisme clinquant. Fellini manie à plusieurs reprises les dérapages de la société, coincée entre des superstitions sclérosées et la montée du tape-à-l'œil. Le fait divers, relégué par un milieu journalistique plus ou moins scrupuleux, constitue souvent une idée de départ. Ainsi, une apparition miraculeuse de la Vierge à des enfants en 1958 à Terni se transforme en émeute délirante dans La Dolce Vita : accidentés de la vie, photographes en folie ou simples badauds accourent pour voir les jeunes témoins et se prosterner devant eux. Une scène conçue comme un grand spectacle à multiples figurants, de sorte que l'idolâtrie de masse balaie tout sentiment mystique. En Italie, comme chacun sait, la religion catholique tient autant d'importance que les jolies femmes, qui deviennent à la même époque l'objet d'une autre forme de culte. Traquée par la presse, Anita Ekberg voit même son mari s'en prendre violemment à l'un de ces photographes, qu'on nommera bientôt paparazzi. Une appellation ramenant à Fellini qui, inspiré par cet incident, invente dans La Dolce Vita le personnage de Paparazzo, nom propre ensuite consacré comme profession à part entière.

L'importance de l'image, jusqu'à des extrémités assez discutables, revêt un nouvel aspect dans l'Italie des années 1980 : à cette époque, un certain Silvio Berlusconi impose (déjà !) son mauvais goût à la télévision et, fait plus gênant encore, la population semble s'en accommoder. La riposte fellinienne se fera à travers la parodie de publicités, outrageusement décalées, afin de mieux exhiber le potentiel abrutissant d'une telle production visuelle. Et pourtant, comme le rappelle à juste titre une séquence vidéo, Fellini n'était ni élitiste ni sectaire, et on lui doit quelques spots publicitaires plutôt sympathiques, où il donne libre cours à son imagination, usant d'une désinvolture digne de ses longs métrages. En guise d'intermède musical, la montée entre les deux niveaux des Galeries du Jeu de Paume se fait au son d'Unlimited Fellini, pièce sonore signée Rodolphe Burger, ex-leader du groupe de rock français Kat Onoma, où les bribes d'un monde passé sont captées et assemblées par un harmonieux hasard. Toujours en musique, un extrait du tournage du Satyricon montre le jeune acteur Max Born interpréter Don't Think Twice it's All Right de Bob Dylan_ poète humaniste, puisant dans l'étonnant spectacle de la vie, des traits qui le rapprochent de Fellini, quoique dans un autre registre. Et la musique dans les films ? Entre 1952 et 1979, le cinéaste s'adjoindra les services de Nino Rota : collaboration longue et fructueuse, dans laquelle Fellini donnait toutes instructions au pianiste, les respectant humblement. Cette attitude très dirigiste trahit en fait une certaine méfiance pour la musique, que Fellini reconnaissait, en accusant ses charmes mystérieux de pouvoir faire ombrage au septième art.

Grande et durable complicité que fut également celle qui lia Fellini à ses acteurs fétiches_ à commencer par son épouse, Giuletta Masini, qui campa aussi bien un clown dans La Strada qu'une prostituée dans Les Nuits de Cabiria. Parmi les interprètes masculins, une place de choix revient à Marcello Mastroianni, par son élégance et sa sobriété innées, comme le confirment toutes ses prestations felliniennes. Ces apparitions récurrentes ont fait dire que Mastroianni était le double de Fellini dans ses films, ce que le cinéaste réfutait. Et pourtant, n'est-ce pas à son ami Marcello qu'il donna le rôle du réalisateur dans 8 1/2, œuvre introspective par excellence ? L'acteur est aussi omniprésent dans La Dolce Vita_ son premier rôle dans un film de Fellini_, dès le début : pilotant un hélicoptère, il fait partie d'un convoi aérien acheminant une statue du Christ au Vatican, ce qui provoque la curiosité des enfants jouant dans la rue ou des midinettes en bikini sur leur balcon. En dépit de cette scène d'ouverture si portée sur la religion, La Dolce Vita sera mal jugée par l'Église, pour cause d'éloge des plaisirs matériels. Voilà qui mit fin à une période initiée par La Strada, durant laquelle l'œuvre de Fellini prend des accents mystiques, au point de provoquer les foudres de la gauche italienne le taxant de "catho"...Difficile d'être un artiste vraiment engagé, sans autre parti que le sien !

Quitte à parler de nouveau religion, revenons aussi aux femmes. Dire qu'elles comptent parmi les leitmotivs felliniens est un euphémisme. Tout au long des films s'esquissent différents types physiques, somme des fantasmes et des souvenirs : la buraliste à la poitrine plus que généreuse d'Amarcord ou la Saraghina, brune ébouriffée et un peu bestiale de 8 1/2, appartiennent à un registre populaire tout droit sorti de l'enfance du cinéaste. Bien plus glamour, Anita Ekberg incarnerait une beauté presque surnaturelle aux yeux de Fellini, lequel participa activement à ériger cette ancienne Miss Suède au rang de sex symbol_ autant, si ce n'est plus, que les dizaines de couvertures de magazine, de Life à Playboy. Cet appétit de chair se conjugue donc toujours avec une crainte révérencieuse de la féminité, d'où le regard à la fois troublant et aimant que portait Fellini sur les prostituées. Ces dames apparaissent ainsi à plusieurs reprises dans Fellini Roma, dans le cadre de l'éducation sexuelle du jeune narrateur (autrement dit, Federico Fellini !), qui passe d'un bordel plutôt sordide à une maison close un peu plus luxueuse...Le rapport des prostituées avec Rome ne tient pas qu'au contexte social, mais aussi à des raisons historiques : en latin, lupa signifie la louve, comme celle qui recueillit Romulus et Rémus, mais aussi la prostituée, candidate potentiellement plus convaincante pour les jumeaux. Consciemment ou non, cette ambivalence est reprise sur l'affiche française de Fellini Roma, avec une jeune femme pourvue de six seins, dans une posture proche de celle de la Louve du Capitole. Si la sexualité n'a jamais laissé Fellini indifférent, il ne se reconnaît guère dans Casanova ; le film qu'il lui consacre, paradoxalement, envisage le complexe de l'homme par rapport à une femme aussi attirante qu'inaccessible : en ce sens, Le Casanova de Fellini procède encore de la quête introspective.


Fellini lui-même accède au mythe avec la cultissime scène de la Fontaine de Trévi dans La Dolce Vita, analysée avec une grande pertinence. Moment irréel_ qui a déjà vu un tel lieu aussi désert ?_ où semble se sceller le coup de foudre de deux êtres que tout attire, perdus dans l'ivresse calme de la nuit romaine. Après qu'Anita Ekberg se soit plongée dans le bassin, et prenne un faux air de Vénus émergeant de l'onde, Marcello Mastroianni la rejoint, abandonnant un instant son flegme habituel ; alors leurs lèvres se rapprochent et aussi vite s'éloignent, comme si le passage du temps bousculait la magie d'un instant. Et Fellini réalisait la plus belle scène de baiser...manqué de l'histoire du cinéma ! Illusion, fugacité, beauté peuvent autant s'appliquer à ce bonheur évanoui qu'au décor baroque entourant le couple. Vingt-sept après, les deux acteurs sont réunis dans Intervista et assistent, sans contenir leur immense émotion, à cette scène qui les changea en légendes ; toutefois, la scène a été retravaillée par Fellini, de sorte que les amants semblent alors vraiment s'embrasser. Dans cette image grisée de rêverie , l'illusion et la vérité ne font plus qu'un.

Federico Fellini, ou l'homme qui fit de ses films le spectacle d'une vie. Quand il ne s'exprimait pas à travers le cinéma, Fellini prenait d'autres chemins pour explorer ses pensées. Suite à une psychanalyse entamée dans les années 1960, les manifestations nocturnes de l'inconscient affleurèrent dans Le Livre des Rêves, compilation sur plusieurs décennies de nombreux songes, soigneusement décrits et illustrés_ voire mis en images dans des publicités pour La Banca di Roma en 1992. Souvent déconcertant, parfois très crû, l'ouvrage prolonge la création cinématographique. C'est d'ailleurs dans Le Livre des Rêves que le maître lui-même donna la plus belle et concise définition de son génie : "Piu vere del vero queste immagini !" (ces images sont plus vraies que la vérité !).

En guise d'épilogue, A chacun sa vérité de Francesco Vezzoli questionne l'art fellinien à travers notre culte actuel de l'image et les nouvelles icônes : cette interrogation prend la forme de films et de photographies où Anita Ekberg est remplacé par la non moins sensuelle Eva Mendes. L'actrice latino porte une robe inspirée de La Dolce Vita dans un faux film promotionnel (La Nuova Dolce Vita : Social Life and the Imperial Age. From Poppea to Anita Ekberg), puis prête ses traits à une relecture de trois chefs-d'œuvre conservés à Rome : le Trône Ludovisi, La Transverbération de sainte Thérèse de Bernin, et Pauline Borghèse de Canova. Une telle conception confirme incontestablement la participation de Fellini à une grande histoire de l'art, comme le notait déjà superbement André Chastel en conclusion de L'Art italien : " C'est dire la place qui, au terme d'une perspective sommaire de l'art de l'Italie, revient tout naturellement au cinéaste Federico Fellini ; parti du néo-réalisme "caravagesque" de La Strada, il a pu traiter les tableaux de mœurs modernes dans La Dolce Vita, antiques dans Le Satyricon, avec l'autorité des baroques romains, avant de célébrer dans des images ironiques, impitoyables et séduisantes, Roma, foyer absurde et poignant, qui alimente depuis vingt siècles la fierté et l'amertume, la noblesse et l'humanité italiennes, en somme, toute la "comédie humaine". "

Fellini, la Grande Parade, du 20 octobre 2009 au 17 janvier 2010, Galeries du Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, 75008 Paris. Ouvert le mardi de 12H00 à 21H00, du mercredi au vendredi de 12H00 à 19H00, le samedi et le dimanche de 10H00 à 19H00, fermé le lundi. Tarif plein : 7 euros ; réduit : 5 euros ; gratuit pour les étudiants de moins de 26 ans le dernier mardi du mois, de 17H00 à 21H00. Catalogue sous la direction de Sam Stourdzé, Editions Anabet, 2009, 233 pages, 39,90 euros).

Références photographiques :
- Federico Fellini, 8 1/2, 1963, photographie de tournage de Tazio Secchiarioli, © David Secchiarioli
- Anita Ekberg et Marcello Mastroianni, Intervista, 1987, photographie de tournage, Collection Fondation Fellini pour le Cinéma, Sion, DR
- Les photographes à l'arrivée de la vedette de cinéma, La Dolce Vita, 1960, photographie de tournage, Collection Christoph Schifferli, Zürich, DR
- Anita Ekberg, La Dolce Vita,
1960, photographie de tournage, Collection Christoph Schifferli, Zürich, DR
- Marcello Mastrioanni, 8 1/2, 1963,
photographie de tournage, Collection Christoph Schifferli, Zürich, DR
- Marcello Mastrioanni sur le tournage de 8 1/2, 1963, photographie de Paul Ronald,
© Archivio Storico del Cinema/AFE
- Anita Ekberg et Marcello Mastroianni, La Dolce Vita, 1960, photographie de tournage, Collection Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
© 1960 La Dolce Vita-Riama Film-S.N. Pathé Cinéma-Gray Film / identité de l'auteur réservée
- Rêve du 1er avril 1975, Livre des Rêves, dessin de Federico Fellini
© Fondazione Federico Fellini, Rimini
- Federico Fellini, mars 1955, collection particulière, DR

dimanche 29 novembre 2009

Souvenirs d'Italie (1600-1850) Chefs-d'oeuvre du Petit Palais : exposition à Paris, Musée de la Vie romantique

Il y a quelque singularité à ce qu'un Musée de la Ville de Paris organise une exposition à partir d'œuvres d'un autre Musée de la Ville de Paris. Dans le cas de Souvenirs d'Italie, il n'y a guère à redire, puisque la démarche se révèle pleinement justifiée : les objets réunis proviennent essentiellement du Legs Dutuit, du nom de ces deux frères passionnés d'art, qui vécurent dans la seconde moitié du XIXe siècle. Après leur mort, leur collection sera donné à la Ville de Paris, et formera le noyau initial et principal du Musée des Beaux-Arts de la ville, établi dans les murs du Grand Palais. Réunis par des amateurs dans un cadre privé, les objets du legs Dutuit retrouvent temporairement un cadre intimiste au sein de l'ancienne demeure d'Ary Scheffer. C'est plus particulièrement le cas pour les antiques, disposés dans des vitrines du XIXe siècle, selon une présentation qui associe la curiosité à l'érudition. Un faux tanagra dénote un peu dans cette belle réunion de vases et de statuettes. Provenant d'Étrurie ou d'Apulie, les céramiques d'Italie suivent les modes de la production grecque d'époque hellénistique, par la recherche de formes élaborées et leurs teintes noir et orangé. Parmi les bronzes étrusques, doivent être distingués une superbe ciste en bronze (Latium, IIIe siècle avant Jésus-Christ), vase funéraire entièrement gravé de dragons, de rosettes_ vieux fonds de l'époque dite orientalisante, dans la Grèce du VIIe siècle_ et de scènes mythologiques, décor dessiné au trait avec une économie de moyens fortement méditée par les maîtres néoclassiques ; ainsi qu'une petite Vénus Anadyomène, variante probable d'un original grec hellénistique grandeur nature (lui-même dérivant d'une œuvre peinte par le légendaire Apelle, selon les spécialistes).



Outre ce goût antiquaire, les Dutuit manifestèrent un grand intérêt pour les artistes français partis en Italie, dont les œuvres constituent la majeure partie de l'exposition. Si le voyage transalpin devient incontournable dès le XVIe siècle, il prend une importance accrue durant le Grand Siècle, au point que certains artistes s'établissent définitivement à Rome. Tel est le cas de Claude Lorrain, qui passa l'essentiel de sa carrière dans la Ville éternelle, où il s'illustra dans le paysage "classique"_ à savoir, des recréations poétiques de la campagne romaine ou des arrangements fantaisistes d'architectures, associés à des thèmes historiques, empreints d'un souffle lyrique voire contemplatif. Essentiellement peintre, Lorrain fut aussi un graveur de grand talent, et l'on comprend aisément que les Dutuit aient pu acquérir nombre de ses eaux-fortes. Beaucoup de ces estampes reprennent les formules qui ont contribué au succès des tableaux : mise en scène théâtralisée, où nature et bâtiments forment le cadre d'un épisode biblique (Le Repos pendant la fuite en Égypte, 1663), un récit mythologique (L'Enlèvement d'Europe, 1634) ou une scène anecdotique (Le Bouvier, 1636). L'artifice s'impose par un jeu de coulisses emprunté au monde du spectacle, trait typiquement baroque, tout comme la vie sans heurt des bergers trahit un regard fantasmé sur la campagne romaine, Arcadie retrouvée aux abords de la Ville éternelle. Mais comment rester indifférent devant cette exaltation quasi mystique de la nature, mère nourricière accueillant l'homme en son sein ? Avec une sensibilité inégalée, Lorrain parvient à créer de subtils effets lumineux rien qu'avec du noir et du blanc, en laissant en réserve certaines zones près d'autres largement ombrées. L'illumination bichrome qui jaillit du Soleil levant (1634) peut tout à fait être comparée à la splendeur dorée du Paysage avec le port de Santa Marinella (vers 1639), petite huile sur cuivre que possédait les Dutuit. Influencé par les Flamands, l'art de Lorrain inspirera en retour certains membres de la colonie nordique à Rome, quoique sans la même acuité d'esprit et de regard. Claude Lorrain s'est aussi ingénié à recréer, en miniature sur le papier, la démesure des décors éphémères, fréquents au XVIIe siècle pour fêter tout événement, jusqu'à faire de Rome une ville en spectacle perpétuel. Fontaines grandiloquentes sommées d'emblèmes, fortins disparaissant dans un déluge pyrotechnique, ces ambitieux monuments n'ont laissé d'autre trace que ces témoignages indirects : aussi précieux soient-ils, ces dessins n'offrent seulement qu'un pâle reflet de "l'illusion baroque".

Fondée par Louis XIV, l'Académie de France à Rome pérennisa la présence des artistes en Italie sous l'Ancien Régime, notamment par l'accueil des talents les plus prometteurs du royaume. Bien que la future capitale italienne demeurât une étape obligée, le voyage dans la péninsule comptait de plus en plus d'étapes au XVIIIe siècle. Partageant une amitié et un style, Fragonard et Hubert Robert quittaient volontiers les abords du Corso pour d'autres destinations, particulièrement Tivoli. La célèbre cité du Latium offrait des sites particulièrement diversifiés, entre nature et culture : des ruines antiques avec le temple de la Sybille tiburtine, une grandiose demeure de la Renaissance nommée la Villa d'Este, ainsi qu'un environnement grandiose autour des cascatelles. Cet ensemble remarquable inspira un ouvrage fort ambitieux au protecteur des deux peintres, l'abbé de Saint-Non. Son Voyage pittoresque (1777-1819), auquel le riche ecclésiastique consacra une part importante de sa fortune, recensait les mille et une curiosités de la péninsule, désormais enrichie des cités du Vésuve. C'est ainsi que l'abbé reproduisit La Marchande d'Amours, une fresque d'Herculanum qui inspira à Vien son plus célèbre tableau. Du maître de David sont montrées trois têtes d'Orientaux (vers 1748), peintes alors que les attraits de l'Asie le disputaient quelque peu aux charmes de l'Italie.


Près d'un siècle plus tard, ces fantasmes ne faiblissaient guère. Ancien pensionnaire de la Villa Médicis (siège depuis 1803 de l'Académie de France à Rome), Ingres en devint le directeur entre 1834 et 1840. Bien qu'il délaissa alors un peu son art pour des responsabilités administratives, le peintre des femmes enivrantes créa l'un de ses nus les plus sensuels, L'Odalisque à l'esclave, préparée par de savoureux croquis. Parmi les nombreux mirages du monde transalpin, celui des belles aussi voluptueuses qu'avenantes n'est négligeable : assez inhabituelle chez Corot, Marietta ou l'odalisque romaine (1843), langoureusement allongée sur son drap et comme surprise par son observateur, rappelle que l'Italie n'attire pas seulement pour son patrimoine_ ou bien que l'artiste a porté son attention sur d'autres courbes et reliefs que ceux de ses fameuses peintures panoramiques...Dans une veine moins leste et plus reconnaissable, Corot grave des paysages où la nostalgie se glisse même dans la vibration de l'air à travers les arbres et les herbes, alors que les nuages passent fugacement, comme des pensées évanouies.

En guise d'apothéose, la dernière salle est entièrement dédiée à Hubert Robert, et sa vision des ruines, des hommes et de la nature, tel un songe éternel. Dans ce cadre sont réunis les huit panneaux commandés à l'artiste par Beaumarchais en 1790. L'hôtel du dramaturge ayant été détruit au XIXe siècle, les toiles furent par la suite dispersées, deux d'entre elles étant aujourd'hui au Petit Palais et les autres à l'Hôtel de Ville de Paris. En dépit d'une forte usure, ces décors révèlent la grandeur d'imagination d'Hubert Robert et sa capacité à se jouer des rêveries. D'ordinaire pièce de musée bénéficiant du culte des érudits, l'antique devient l'élément d'un caprice pictural, comme oublié dans une nature le condamnant inexorablement à la ruine. Dans la même veine, le peintre s'autorise aussi de l'humour, avec le Laocoon à la fois vénéré et moqué depuis le XVIe siècle (notamment par Titien) : sous le groupe étouffé par un serpent monstrueux, pâtres et cheptel prennent peur devant l'arrivée dans un bassin...d'une petite couleuvre ! Malgré tout, cette lecture burlesque n'est-elle pas encore une nouvelle révérence devant l'antique ? On mesure toute la fascination d'Hubert Robert pour ces pièces insignes avec l'omniprésence de L'Apollon du Belvédère dans son œuvre, depuis ce décor jusqu'à la Vue imaginaire de la Grande Galerie en ruine, imaginant un Louvre dévasté mais la statue vaticane intacte. Une divagation comme une autre, pour prolonger le voyage vers cette Italie sans cesse rêvée mais jamais épuisée.

Souvenirs d'Italie (1600-1850) Chefs-d'œuvre du Petit Palais, du 29 septembre 2009 au 17 janvier 2010, Musée de la Vie romantique Hôtel Scheffer-Renan, 16 rue Chaptal, 75009 Paris. Ouvert tous les jours, sauf les lundis et jours fériés, de 10H00 à 18H00. Tarif plein : 7 euros ; réduit : 5 euros ; jeunes : 3,5 euros (accès gratuit pour tous aux collections permanentes).

Références photographiques :
- Camille Corot, Marietta, 1843, huile sur papier collé sur toile, 29x44 cm, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris © Petit-Palais / Roger-Viollet
- Claude Gellée dit Le Lorrain, Le Troupeau en marche par temps orageux, entre 1650 et 1651, eau-forte (2e état sur deux), 16,1x22 cm, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris © Petit-Palais / Roger-Viollet
- Jean-Honoré Fragonard, Un Parc à l'italienne. Les Jardins de la Villa d'Este, vers 1774, lavis de bistre sur traits de pierre noire, 34,7x46,3cm, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris © Petit-Palais / Roger-Viollet
- Jean-Auguste-Dominique Ingres, Étude pour l'Odalisque à l'esclave, vers 1838, mine de plomb sur papier, 17,5x35,5 cm, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
- Camille Corot, Souvenir d'Italie, 1863, eau-forte, 31,4x23,3 cm, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris © Petit-Palais / Roger-Viollet
- Hubert Robert, L'Hercule Farnèse, 1790, huile sur toile, 281x132 cm, Paris, Petit Palais, Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris © Petit-Palais / Roger-Viollet

dimanche 1 novembre 2009

Peindre à Venise au XVIe siècle : Les héritiers de Titien : disciples, partisans et rivaux, par Miguel Falomir

A tout seigneur tout honneur, Titien clôture le cycle, tout comme il triomphe dans Rivalités à Venise. S'agissant de la vieillesse du maître, un espagnol était, pour le moins, bien placé pour en parler : il y a fort à parier que le Prado conserve le plus prestigieux ensemble de toiles de Titien au monde. C'est à ce noyau des collections madrilènes que Miguel Falomir consacre actuellement ses efforts, en vue de la publication prochaine d'un catalogue raisonné. Figure centrale à Venise, en Italie et en Europe, Titien devait sa position autant à son génie qu'à à une série de circonstances jouant souvent en sa faveur. La mort prématurée de Giorgione en 1510, puis le décès de Giovanni Bellini en 1516 et le départ de Sebastiano del Piombo pour Rome en 1511, facilitèrent l'épanouissement de Titien jusqu'à sa supériorité incontestée sur les autres peintres de la lagune_ même Pordenone, bien mieux estimé qu'aujourd'hui. Une hégémonie pas vraiment remise en cause dans les années 1540 avec la venue à Venise de peintres maniéristes toscans comme Vasari et Salviati, ou bien l'arrivée sur la scène artistique de Tintoret. Celui-ci, avec une œuvre de jeunesse comme Apollon et Marsyas (Hartford), ne menaçait guère la suprématie de Titien qui, au départ, eut probablement des rapports cordiaux avec Tintoret. Le vieux maître et le jeune artiste eurent même des amis communs, tel l'Arétin pour la demeure duquel fut peint Apollon et Marsyas. Miguel Falomir, au passage, met fortement en doute les propos de Ridolfi au sujet d'un apprentissage, aussi bref fut-il, de Tintoret dans l'atelier de Titien.



La situation changea sensiblement après le départ de Titien et ses collaborateurs pour Augsbourg à la Noël 1547, voyage suivi d'une rumeur de départ définitif du peintre pour la cour de Charles Quint_ L'Arétin explique même dans une lettre que des Vénitiens se précipitèrent à l'atelier pour acheter les œuvres de Titien, par crainte de ne plus jamais le revoir dans la Cité des Doges...Et pourtant, l'artiste revint bien à Venise, en novembre 1548, découvrant une cité désormais acquise à Tintoret, qui avait exécuté durant l'absence du maître son Miracle de l'esclave, premier coup d'éclat et certainement pas le dernier ! Cette synthèse très aboutie entre tradition vénitienne et maniérisme romano-toscan, sous la forme d'une composition élargie peuplée de personnages dynamiques, dut probablement déstabiliser Titien, confronté à un nouveau style de peinture qu'il n'arrivera jamais d'ailleurs à aussi bien assimiler que son jeune collègue. La peur de Titien prit bien vite l'aspect d'un froid à l'égard de Tintoret, qui fit plusieurs fois les frais des inquiétudes du "parrain" de la peinture vénitienne de se voir éclipser : à cet égard, l'absence de Tintoret à la décoration de la salle de lecture de la Libreria Marciana se révèle très parlante. L'architecte de la bibliothèque, Jacopo Sansovino, était un ami de Titien, dont on doit voir l'influence non négligeable dans la sélection de sept jeunes peintres, souvent inférieurs à Tintoret, puis l'attribution du prix à Véronèse, alors favorisé par Titien...En 1549 déjà, l'Arétin déplorait une attitude aussi injuste, mais Dolce, toujours prêt à défendre le champion de la peinture vénitienne, critiqua comme par contrecoup le style de Tintoret. La vindicte perturba aussi le chantier décoratif de la Scuola Grande di San Rocco, traînant durant onze ans, mais dont Tintoret sortit vainqueur. Pour assurer sa réussite, Tintoret n'imposa pas seulement son talent et sa manière originale par rapport à Titien, mais aussi une stratégie analogue à celle de son rival, notamment en offrant des portraits afin d'obtenir une promotion ; il proposa même en 1573 de faire don d'une représentation de la Bataille de Lépante aux autorités, dans le but de devenir peintre officiel de la République Sérénissime.

Lorsque Véronèse fait son apparition à Venise en 1551, sa Pala Giustiniani, destinée à l'autel de la famille homonyme à San Francesco della Vigna, reprend de manière flagrante la composition désaxée de la Pala Pesaro, peinte un quart de siècle auparavant par Titien aux Frari. La déférence ne dut pas être seulement formelle car le succès rapide du jeune peintre de Vérone fut probablement facilité par la bienveillance de Titien. Et pourtant, quelle différence de langage pictural entre eux deux ! Miguel Falomir propose une confrontation très pertinente, axées sur les peintures de San Sebastiano : en entrant dans l'église, on se trouve face à un Saint Nicolas peint en 1563 par Titien, dont l'écriture contraste singulièrement avec les peintures du plafond dues à Véronèse, qui entreprit la décoration des lieux dès 1555. C'est un écart entre deux générations distinctes, la plus jeune se lançant dans de grandes peintures religieuses narratives auxquelles Titien était peu habitué. Force est de constater que les dernières réalisations vénitiennes du maître ne sont pas à la hauteur de ses moyens, qu'il emploie surtout pour le roi d'Espagne. Le 26 avril 1562, Titien envoie à Philippe II les dernières œuvres qu'il lui commanda ; les tableaux suivants à destination de la péninsule ibérique seront tous des cadeaux_ à l'exception du Martyre de saint Laurent à l'Escurial et de Philippe II offrant le prince Ferdinando à la Victoire, deux toiles demandées par le souverain Habsbourg.

Les rares commandes vénitiennes contemporaines trahissent parfois de vains efforts pour rivaliser avec la nouvelle génération : La Transfiguration de San Salvatore rappelle défavorablement Tintoret, tandis que La Cène (disparue) autrefois à Santi Giovanni e Paolo présente à l'arrière-plan un fond architectural repris des grands repas bibliques de Véronèse, mais sans leur emphase grandiose. Bien plus réussie, la dernière commande officielle de Titien à Venise se révèle être La Sagesse (1560-1562) pour la Libreria Marciana, lieu officiel où Tintoret triomphera en 1571 avec sa série de Philosophes pour la salle de lecture. Derrière ces tableaux décevants, se devine aussi la déchéance physique d'un homme à l'âge canonique. Des témoignages de l'époque vont dans ces sens : en 1568, Maximilien II refuse que le peintre reproduise pour lui ses Poesie, car il l'en estime désormais incapable. Dans une lettre du 5 mai 1573, le duc d'Urbin Guidobaldo della Rovere affirme que Titien ne peignait plus, à cause de son grand âge. Ce prince commanda néanmoins la même année une Vierge de la Miséricorde (Florence, Palazzo Pitti), en sachant pertinemment qu'elle ne serait pas le fait du maître : l'examen y révèle une participation prépondérante de l'atelier, mais quel autre artiste vénitien pouvait revendiquer une dimension internationale ?

Pareilles difficultés obligèrent Titien à prendre plusieurs collaborateurs, dont les facultés souvent modestes ne purent pallier l'incapacité du maître, qui semble avoir formé peu d'artistes notables. La question de l'atelier de Titien reste encore très débattue, d'autant que les rares peintres intéressants à l'avoir fréquenté présentent un profil particulier : soit un Paris Bordone, carrément évincé à cause de son talent ; soit des nordiques, comme le néerlandais Sustris ou l'allemand Schwarz, déjà formés avant d'entrer en contact avec Titien. Alors que les œuvres présentent un caractère assez homogène jusque vers 1550, l'augmentation de la production à partir du séjour à Augsbourg oblige la participation de plusieurs mains sur une seule toile, même prestigieuse. Destinée à Charles Quint après son abandon du pouvoir, La Gloria montre autant de passages splendides que d'autres plus inférieurs, par exemple le profil de l'impératrice Isabelle. L'incapacité de l'atelier à exécuter des grands formats serait-elle à l'origine du déclin de Titien à Venise ? La carrière de Girolamo Dente (mort en 1572) tendrait à le prouver : sorti de l'atelier en 1550, il ne réussira pas vraiment à s'imposer indépendamment, finissant par retourner auprès de Titien en 1556...La qualité plutôt faible de ses tableaux explique aisément son insuccès, le condamnant à peindre pour des cités provinciales autour de Pieve di Cadore, ville natale de Titien. La remarque s'applique à d'autres peintres modestes de cet atelier, ainsi le fils de Dente, Orazio Veccellio, qui prit à son maître le style et le nom.

Titien lui-même fit preuve d'une certaine relâche, et les autorités craignirent même que le toiles signées de son nom furent en fait exécutée par des assistants_ d'où la demande faite à Titien d'apposer deux fois sa signature sur L'Annonciation de San Salvatore, à cause de doutes sur l'autographie du tableau. Cette défiance trouve notamment son origine dans les erreurs anatomiques alors flagrantes de toiles pourtant indéniablement peintes par le maître, qui parfois se borne à répéter la même pose d'une œuvre à l'autre_ Europe et sainte Marguerite partageant la même attitude, ou encore les gestes presque identiques de Diane et la Religion. Le rayonnement de Tintoret et Véronèse à Venise fut tel que, paradoxalement, certains peintres nordiques proches de Titien subirent une plus forte influence de ses jeunes rivaux. Le Jugement dernier de Dirck Barendsz dans le monastère bénédictin de Farfa (Latium) et Le Baptême du Christ (Prado) de Schwarz le prouvent de manière indiscutable. Même un artiste aussi doué que Damiano Mazza, terrassé à 26 ans par la peste qui emporta aussi probablement Titien en 1576, montre un intérêt pour la nouvelle garde : son œuvre la plus connue, L'Enlèvement de Ganymède, a beau avoir été faite pour un ami intime de Titien, elle se rapproche surtout des caractéristiques habituelles de Véronèse et Tintoret. De même le style tardif de Titien ne fut guère assimilé ou même imité par ses disciples : peut-être cette orientation était trop personnelle et liée à la dégradation physique d'un patriarche de la peinture_ il est d'ailleurs parlant que seul Jacopo Bassano, souffrant de mêmes problèmes dans sa vieillesse, se soit véritablement rapproché dans ses ultimes créations du dernier Titien.



En dépit de toutes ces réserves, la plupart des avis convergeaient pour reconnaître en Titien le plus grand peintre de son temps, capable de donner une âme à sa peinture. Lorsque le futur Henri III fait étape en 1574 à Venise, il rend visite à Titien, qui ne put hélas le portraiturer ; mais le jeune prince Valois refusait que les plus vigoureux Tintoret et Véronèse le représentent, les en jugeant indignes. Cette anecdote révèle les difficultés de ces deux peintres à se faire une réputation hors de Venise, un point de vue indirectement souligné par Vasari. En 1568, la deuxième édition des Vies fait l'éloge de Titien, critique Tintoret et ignore Véronèse. Ces derniers durent attendre la mort du maître en 1576 pour obtenir une clientèle étrangère...souvent la même que celle de Titien ! Leur production évolue de ce fait sensiblement, avec une augmentation des thèmes mythologiques, alors peu demandés à Venise. Leur peinture religieuse destinée à Philippe II porte aussi l'ombre du maître, Véronèse signant une Annonciation fortement marquée par la toile du même sujet peinte pour la mère du roi par Titien, tout comme Tintoret privilégiant une palette plus claire dans son Adoration des bergers (L'Escurial). Toutefois, Véronèse sera davantage favorisé par le successeur de Charles Quint, de sorte que Tintoret se tournera plutôt vers Rodolphe II.

Ce fort ascendant de Titien sur la peinture vénitienne est aussi revendiqué, curieusement, par des artistes pas forcément passés par son atelier. Se dire élève de Titien constituait, en quelque sorte, une excellente carte de visite dont usera Greco lorsqu'il se rendra en Espagne en juin 1577, soit un an à peine après la disparition du peintre préféré de Philippe II. Néanmoins, rien dans la peinture du crétois n'atteste d'une telle relation, bien que son séjour vénitien ait pu l'amener à connaître Titien ou du moins ses œuvres. Dans ces tentatives pour remplacer Titien à la cour espagnole, Parrasio Micheli accompagna son Allégorie de la naissance du prince Fernando d'une lettre où il se recommandait de Titien ; son style, néanmoins, trahit plutôt un rapport avec Véronèse. Le cas de Simone Peterzano est analogue. Ce peintre lombard, surtout connu pour avoir été le premier maître de Caravage, se proclame élève de Titien sur un Autoportrait daté de 1589, mais sa peinture d'histoire lorgne incontestablement du côté de Tintoret et Véronèse. Plus troublant encore : Pablo Scheppers, obscur peintre flamand, revendiquait aussi une formation titianesque, mais rien dans sa Vierge du Pilar entre saint Paul et Ignace de Loyola n'atteste d'une telle éducation artistique. Malgré toutes ces revendications, l'examen des œuvres montre le faible impact de Titien sur ses contemporains comparé aux influences de Tintoret et Véronèse. Il faudra attendre le XVIIe siècle et ses grands coloristes pour que soit redécouvert le génie de la peinture vénitienne : fait révélateur, cette réappropriation se fera moins dans la Cité des Doges qu'à Madrid, dont les collections royales conservaient alors L'Enlèvement d'Europe. Cette toile des Poesie fut notamment copiée par Rubens (tableau au Prado), et Velazquez en fit un motif de tapisserie dans sa magistrale composition, La Fable d'Arachné ou Les Fileuses. Mais ça, c'est un autre chapitre, tout aussi passionnant, de l'histoire de la peinture en Europe...

Références photographiques :
- Tintoret, Apollon et Marsyas, 1544-1545, huile sur toile, 137x236 cm, Hartford, Wadsworth Atheneum Museum of Art
- Véronèse, Pala Giustiniani (Sainte Famille avec saint Antoine et sainte Catherine), 1551, huile sur toile, 319x187 cm, Venise, San Francesco della Vigna
- Titien, La Sagesse, 1560-1562, huile sur toile, 177x177 cm, Venise, Libreria Marciana
- Titien, La Gloria, 1551-1554, huile sur toile, 346x240 cm, Madrid, Museo del Prado
- Dirck Barendsz, Le Jugement dernier, 1561, huile sur plâtre, Farfa (Latium), monastère bénédictin
- Damiano Mazza, L'Enlèvement de Ganymède, vers 1575, huile sur toile, 177x188 cm, Londres, The National Gallery

dimanche 25 octobre 2009

Peindre à Venise au XVIe siècle : La noblesse du pinceau : Titien, Castiglione et le peintre de cour à Venise, par Philip Cottrell

Philipp Cottrell a beau être irlandais, il possède indéniablement un humour propre à la Grande-Bretagne, cette verve si délicieusement piquante, avec laquelle l'esprit fait mouche à chaque coup_ ce qu'on peut le plus envier à nos voisins d'Outre-Manche (après les Beatles, bien sûr !). Ce trait de caractère convenait parfaitement au propos centré sur deux véritables gentlemen de la Renaissance italienne, Castiglione et Titien. Le peintre avait établi sa réputation en partie par son talent d'artiste, mais aussi par ses capacités de redoutable homme d'affaires, à même de négocier habilement avec les grandes cours. D'où le prestige international de Titien, pour qui Venise était comme une base d'où il envoyait ses tableaux. Bien entendu, cette renommée dans l'Europe entière s'est faite progressivement : après des contacts avec Ferrare et Mantoue dans les années 1510, Titien a su se faire remarquer par Charles Quint dès 1530, et ensuite travailler quasi exclusivement pour son fils Philippe II. Trop peu absent pour ses concurrents locaux, le maître ne quitta guère Venise, où il accueillait avec une bienveillance réputée ses hôtes de marque. La position unique de Titien lui donna même le privilège de peindre ce qu'il voulait pour Philippe II, qui reçut aussi bien de pieuses compositions religieuses que des mythologies bien charnelles, les Poesie. Titien mort en 1576, ses rivaux saisirent alors une occasion pour prendre sa place, ou du moins essayer. Dans cette optique, Tintoret envoya son Origine de la voie lactée à Rodolphe II, l'autre grand prince Habsbourg avec le roi d'Espagne. Véronèse, quant à lui, employa des moyens détournés pour approcher la cour madrilène : en 1573, le peintre Parrasio Micheli servit d'entremetteur, à l'aide de toiles imitant la manière du maître avec un moindre talent. Aujourd'hui au Prado, ces tableaux représentent une Allégorie de la naissance du prince Ferdinando, célébration picturale du fils dePhilippe II, retouchée par Véronèse, et Pie V adorant le Christ mort. Le successeur de Charles Quint dut être passablement enthousiasmé par ces œuvres, car il envoya 2000 ducats à Véronèse pour qu'il s'installa à Madrid. L'intéressé refusa, afin d'adopter la même position que Titien résidant à Venise au service de Philippe II sans jamais se rendre en Espagne_ sauf que Véronèse n'était pas Titien !

Une anecdote fameuse évoque le lien très particulier qui unissait Charles Quint à son peintre favori : le maître d'un empire sur lequel, dit-on, le soleil ne se couchait jamais, ramassa par terre un pinceau qu'avait fait tombé l'artiste. Qu'elle soit vraie ou non, l'histoire doit probablement refléter une déférence réciproque entre le peintre des princes et son commanditaire tout puissant : au nouvel Alexandre Le Grand, il fallait bien que corresponde un nouvel Apelle. Si Titien fut aussi apprécié à la cour, c'est entre autres pour sa sprezzatura, terme désignant la désinvolture ou la nonchalance, soit une certaine aisance naturelle à la fois distinguée et..."relax", dixit Philipp Cotrell. Le mot forme en quelque sorte la clé de voûte d'un des best-seller de la Renaissance, Il Libro del Cortegiano de Baldassare Castiglione, publié en 1528 à Venise. Ce manuel du savoir-vivre dans le monde des cours eut un tel succès qu'il figurait parmi les livres de chevet de Philippe II, aux côtés de La Bible et du Prince de Nicolas Machiavel. Castiglione savait parfaitement de quoi il parlait puisqu'il naquit en 1478 à Mantoue, avant de vivre à Milan, Urbin, Rome, puis partit en 1524 à Madrid où il mourut en 1529. Auprès des Gonzague, des Sforza ou des Montefeltre, il devint un parfait courtisan, estimé pour son esprit cultivé et ses talents diplomatiques. Son aimable caractère fut apprécié des artistes, et son amitié avec Raphaël lui valut au moins deux portraits, dont celui célèbre du Louvre compte incontestablement parmi les chefs-d'œuvre absolus de la peinture occidentale. Fréquentant également Giulio Romano (qui fit son mausolée au Santuario della Beata Vergine delle Grazie, à Mantoue) ou Rosso, Castiglione se lia aussi avec Titien, dont "l'art étudié du non étudié" de ses portraits rejoignait tout à fait les préceptes d'Il Libro del Cortegiano. Dans sa quête de la nonchalance innée, Titien fut peut-être influencé par le portrait de Castiglione par Raphaël, tableau qui se trouvait en 1519 à Mantoue, ville natale du modèle. Pareilles sources ne diminuent en rien son originalité dans l'élaboration de nouvelles formules, de sorte que Tintoret et Véronèse retinrent la leçon en reprenant les mises en page les plus réussies de leur redoutable rival. L'importance de Titien portraitiste dépasse de loin la Venise de la Renaissance : ses expériences des années1520/1530 pour agrandir le cadre autour du modèle, eurent une portée non négligeable sur la peinture anglaise des XVIIe et XVIIIe siècles.


Il est temps de revenir au cœur du discours, ou plutôt à l'œuvre principale, conservée à la National Gallery of Ireland, à Dublin. Plus précisément, un tableau méconnu de Titien, à cause de sa surface très usée. Seuls les traits distingués du modèle ont peu ou prou échappé à l'usure, et permettent d'y reconnaître un portrait de Baldassare Castiglione_ l'inscription en haut à droite de la toile fut ajoutée après la réalisation du tableau. La comparaison formelle avec le portrait du Comte Antonio Porcia e Brugnera (Milan, Pinacoteca di Brera), daté vers 1535-1540, invite à placer la toile irlandaise dans les années 1530. Si l'on retient une telle hypothèse chronologique, le portrait serait donc posthume, doté d'une valeur commémorative. Il est vrai que Titien aurait pu représenter Castiglione de son vivant, puisque les deux hommes s'étaient notamment vus en 1523, lors d'une visite d'Isabelle d'Este à l'atelier du peintre vénitien, Castiglione ayant alors fait partie de la délégation de la marquise de Mantoue. D'autres rencontres purent certainement avoir lieu, dans la mesure où Titien se rendit une dizaine de fois à Mantoue entre 1520 et 1530. Si l'on ne saurait dater précisément le portrait, sa première mention remonte à 1648, date à laquelle il est attribué à Giulio Romano. D'abord documenté à Gênes, la toile passa ensuite dans de prestigieuses collections : celles de la reine Christine de Suède, de Baldassare Odeslcachi à Rome, puis du duc d'Orléans à Paris, avant de rejoindre l'autre côté de la Manche.

N'importe quel observateur un peu attentif remarquera aisément la différence de physionomie de Castiglione entre les effigies peintes respectivement par Titien et Raphaël. Cet artiste, né à Urbin où il passa toute sa jeunesse, rencontra l'auteur d'Il Libro del Cortegiano dès 1504. Castiglione commença la rédaction de son ouvrage en 1508, sous la forme d'une conversation entre membres de la cour d'Urbin, dialogue où l'idéalisation domine ; à ce propos, la préface évoque combien les portraits de Michel-Ange et de Raphaël flattent et idéalisent. De là, on imagine sans peine que le portrait de Raphaël, exécuté en 1514-1515 quand Castiglione représentait le duc d'Urbin à Rome, n'offre pas un rendu fidèle du modèle (une analogie peut être faite avec le portrait perdu du poète ferrarais Antonio Tebaldeo par Titien, au sujet duquel l'écrivain Pietro Bembo déclara qu'il était plus ressemblant que la réalité). Pareilles considérations sur l'art du portrait à la Renaissance pourraient aussi expliquer la diversité des représentations, certaines ou présumées, de Baldassare Castiglione : on dit que ses traits furent donnés dans L'Ecole d'Athènes à Zoroastre, portant une barbe grise_ il est attesté que Baldassare se teignait ; un tableau attribué à Giovanni da Udine (Bowood House) le montre roux et pourvu d'un nez aquilin, image plus proche de Titien que de Raphaël.

Bien que le portrait ne doit pas être considéré comme une transcription photographique de l'apparence de Baldassare Castiglione, l'image n'en est pas moins une magnifique traduction visuelle des préceptes de vie du courtisan. Cecil Gould disait d'ailleurs de la toile irlandaise qu'elle montrait plus un personnage d'Il Libro del cortegiano que son auteur. A cet égard, le vêtement noir, d'origine espagnole, correspond en tout point à celui vanté dans le fameux livre. C'est surtout l'attitude générale du modèle qui traduit son aspiration morale ; l'homme a beau se savoir observé, il veut montrer qu'il n'en est pas conscient : cette absence d'affect trouve une résonance très juste avec l'habileté de Titien à ne pas afficher l'art mais à rendre le naturel. Ou, pour le dire autrement, à donner une réponse picturale aux idéaux défendus par le courtisan. Ce naturel a été diversement transcrit par Titien tout au long de sa carrière, selon les commanditaires ou le style alors développé : son portrait de Charles Quint d'après un tableau de l'autrichien Jacob Seisenegger surpasse la composition originelle par son côté vibrant ; dans son Autoportrait aujourd'hui à Berlin, le peintre choisit de donner un aspect inachevé à ses mains, comme pour ne en faire trop dans la restitution du réel. L'audace déplut à Vasari et l'Arétin, mais elle correspondait pour l'artiste à la volonté de cacher l'effort ayant présidé à la création, au profit d'une saisissante vivacité rendant les personnages presque vivants. Cette facture faussement ébauchée imposait aussi une distance dans l'observation des tableaux, celle que devait adopter le spectateur cultivé. Dans son Portrait de Baldassare Castiglione en particulier, Titien propose une "non étude particulièrement étudiée", et la peinture dit ce qu'elle est : l'effigie d'un gentilhomme sophistiqué de la Renaissance. N'en déplaise aux Britanniques : et si les premiers dandys avaient finalement été des Italiens du XVIe siècle ?

Références photographiques :
- Parrasio Micheli, Allégorie de la naissance du prince Ferdinando, vers 1575, huile sur toile, 182x127 cm, Madrid, Museo del Prado
- Il Libro del cortegiano de Baldassare Castiglione, frontispice (Venise, 1528)
- Raphaël, Portrait de Baldassare Castiglione, vers 1514-1515, huile sur toile, 82x67 cm, Paris, Musée du Louvre
- Titien, Portrait de Baldassare Castiglione, années 1530, huile sur toile, 124x97 cm, Dublin, National Gallery of Ireland

dimanche 18 octobre 2009

Peindre à Venise au XVIe siècle : Variations de la couleur à Venise de Titien à Véronèse, par Paul Hills

De couleur, comme dans la prestation de Michel Hochmann, il fut encore question avec Paul Hills, mais sous l'angle de la symbolique et de la définition que leur accordèrent les peintres de la Renaissance et leurs contemporains. Cette question a maintes fois intrigué ce professeur enseignant actuellement au Courtauld Institute, passé auparavant par des prestigieuses institutions à New York ou Florence : ses publications portent sur la lumière dans la peinture vénitienne (ainsi un article sur la question du feu chez Titien), mais aussi le verre ou la mosaïque, comme si toutes les expressions artistiques de la Sérénissime tendaient finalement aux variations sur la couleur. Conscients de la complexité de telles recherches, les intellectuels du XVIe siècle enrichirent et affinèrent leur vocabulaire lié à la perception optique. Il faut ainsi entendre le terme colorito sous une double acception : matière et manière ; les subtilités du terme italien seront reprises par les commentateurs français du XVIIe siècle lorsqu'ils évoqueront le coloris. Deux remarques d'apologistes vénitiens complètent cet enrichissement du langage, à travers des formules à même de célébrer leurs champions. Le théoricien Paolo Pino déclare ainsi que "la lumière est l'âme de la couleur" à propos de Titien, tandis que selon l'écrivain Ludovico Dolce "l'élément prédominant de la couleur est le contraste"_ cette dernière formule énonce empiriquement ce que la science démontrera au XIXe siècle. Ces commentateurs avaient certes un avis fort subjectif et ne procédaient pas véritablement à une analyse des phénomènes visuels ; il n'en reste pas moins qu'ils comprirent la relation dynamique entre la lumière et l'ombre, donnant toute sa force à la peinture vénitienne.


Paul Hills souligne combien la peinture de Titien fait sans cesse référence à l'acte même de peindre_ sous-entendu, même avant le "tachisme" de sa vieillesse. Maîtrisant parfaitement la viscosité de l'huile, le jeune artiste établit dans La Femme aux miroirs un parallélisme entre la main de la jeune femme appliquant l'onguent sur ses mèches, et l'artiste décrivant la chevelure sur la toile grâce à la matière finement appliquée par le pinceau. La Mise au tombeau peinte pour Philippe II, donc bien plus tardive, inclut le peintre qui s'est représenté dans la figure de Nicodème. L'orateur fait remarquer que le vieillard soutenant le corps du Christ pointe son petit doigt sur la plaie sanglante du crucifié ; il propose de confronter ce geste au fameux témoignage de Palma Giovane sur le travail de Titien, qui aurait employé ses doigts pour certaines toiles de sa fin de vie : ici, le sang et le drap blanc feraient allusion à l'action du peintre, étalant ou résorbant la matière sur son support. Au sein cet échange incessant entre l'image et son élaboration, s'instaure un dialogue sur le toucher et le voir, plusieurs fois cristallisé par un miroir : hormis La Femme aux miroirs déjà citée, La Vénus au miroir affirme nettement le contraste entre les deux sens. Alors que l'image reflétée est évidemment hors de portée et dénuée de toute substance concrète, les bords du miroir peuvent être touchés ; de même, les textures tactiles successives des vêtements et des figures peuvent faire penser aux couches de peinture recouvertes d'un vernis. Le dialogue se crée aussi entre surfaces imaginées et surfaces réelles dans cette même œuvre : de telles images étaient, comme il est rappelé, alors cachées par un voile ou un rideau, élément qu'on retrouve probablement dans la main gauche de Cupidon dévoilant le miroir. Son geste fait écho à celui très prude de Vénus, exprimant la retenue. Le retrait avait déjà été rendu par Titien avec Le Transport du Christ du Louvre, dans lequel la partie supérieure de Jésus était caché dans la pénombre. Paul Hills souligne aussi combien les teintes du ciel sont en accord avec celles éteintes des drapés, comme le bleu dilué du manteau de la Vierge : cette tonalité pertinemment assourdie provoquera d'ailleurs l'admiration d'un Philippe de Champaigne, lorsqu'il commentera le tableau devant ses collègues de l'Académie en évoquant l'importance de l'ombre sur le Christ. Considéré comme une des créations les plus "classiques" du jeune Titien, Le Transport du Christ se place néanmoins au début du cheminement amenant l'artiste à un emploi plus vibrant du clair et du sombre à des fins pathétiques_ métaphores visuelles de la pensée théologique remontant en fait à l'époque médiévale. Cette sensibilité doit probablement trouver ses origines dans la formation même de Titien, qui fréquenta des mosaïstes peu de temps après son arrivée à Venise. Or, l'effet dramatique de la mosaïque peut être atteint en élaborant des rangées de couleurs, et il ne serait pas impossible que Titien se soit souvenu de ce procédé en peignant l'écharpe à carreaux, d'aspect linéaire, du jeune homme portant le Christ sur la droite du tableau du Louvre.

La peinture à l'huile se montre comme un processus de plus en plus actif dès les années 1550, la couleur suggérant dès lors la transformation. La preuve en est magistralement donnée par les Poesie, dont les sujets tirés des Métamorphoses s'imprègnent toutefois de la théologie chrétienne dominante et de son idée de l'incarnation, manifeste dans la Danaé envoyée à Philippe II. Autres réalisations pour le roi espagnol, Diane et Callisto comme Diane et Actéon offrent une méditation sur l'aspect corporel. Titien semble donner une réponse définitive, ou du moins très convaincante, aux débats portant sur les nuances de la peau telles qu'elles doivent être rendues par la peinture. Inspirées de poses de la statuaire antique, les nymphes sont néanmoins dépeintes avec une chair vivante et animée, surtout Diane dont l'incarnat fait contraste avec la peau de sa servante noire (les deux personnages s'opposant aussi comme les faces claire et sombre de la Lune, selon une hypothèse séduisante de David Rosand). Tandis que l'infortunée Callisto devient rouge dans la confusion, face à une Diane impitoyable dont le geste du bras singe La Création d'Adam de Michel-Ange à la Chapelle Sixtine...Quant à Actéon, le crâne de cervidé lui faisant face, tout comme les bottes de cerf se reflétant dans l'eau annoncent sa funeste métamorphose, d'autant que le reflet se mêle au corail, qu'on associe au sang au XVIe siècle. Un autre aspect narratif concerne la structure de la grotte, à mi-chemin entre l'art et la nature, suivant en cela les recommandations de Serlio dans son livre IV sur l'architecture. Ce mélange entre produits artificiels et naturels se remarque aussi avec le très beau vase posé sur le rebord rugueux. Il s'agit d'un objet en verre, bien entendu de Murano : et Paul Hills de rappeler l'invention au milieu du XVIe siècle, par les artisans de cette île de la lagune, du verre craquelé, immergé après fusion dans l'eau froide, de sorte que l'effet hasardeux dépasse l'œuvre humaine_ effet analogue à celui recherché dans les grottes rustiques. Or, Philippe II appréciait particulièrement le verre craquelé, et une cargaison lui fut destinée dans le même envoi que Diane et Actéon. D'où une belle comparaison de Paul Hills entre le travail du verre et la peinture de Titien, tous deux fruit d'une longue expérience basée entre autres sur des variations entre lisse et rugueux.

Les préoccupations visuelles de Véronèse, comme on peut s'en douter, sont forts différentes de celles de Titien, même si le jeune artiste reçoit la protection du grand maître à son arrivée à Venise dans les années 1550. Au toucher essentiel à l'esthétique de Titien, Véronèse préfère se focaliser sur le cadre architectural, relativement peu exploité par le premier si ce n'est dans sa Présentation de la Vierge au temple pour la Scuola Grande di Santa Maria della Carità (actuelle Accademia). Fils d'un tailleur de pierre, le peintre de Vérone a toujours été habitué à l'architecture classique, fondamentale pour sa tendance décorative, s'exprimant aussi bien dans la fresque que la peinture de plafond. De là l'emploi de teintes plutôt pâles que l'orateur lie à l'émergence d'un style moderne, c'est-à-dire à la romaine, dans les grandes entreprises ornementales vénitiennes du milieu du XVIe siècle. Au moment même où Véronèse fait ses premières armes au Palais des Doges, le siège politique de la Sérénissime voit l'édification de la Scala d'Oro. L'escalier, achevé à la fin des années 1550, combine sur sa voûte reliefs en stuc blanc et pierres pâles, dont les teintes minérales trouvent des affinités évidentes avec l'art de Véronèse. Pour ses quatre Allégories de l'amour probablement destinées à un plafond, le peintre parvient à un accord entre la chaleur chromatique de l'huile et les teintes plus froides de la décoration, par le biais d'un ciel pâle (pour lequel fut employé un pigment nouveau, issu de l'industrie verrière), des effets de contre-jour et une lumière réfléchie. La couleur chez Véronèse se caractérise ainsi par une légèreté de la palette, dont la gamme subtile parvient à la médiation entre couleurs saturées. Cette intelligence optique ne laissa pas indifférent Nocret, dont l'exposé sur Les Pèlerins d'Emmaüs (Louvre) loue la couleur de la nappe reprenant les teintes de la peau.



Évoluant auprès d'une aristocratie et d'une grande bourgeoisie dont il percevait parfaitement les attentes, Véronèse montre dans sa peinture un grand intérêt pour la mode vestimentaire de son époque. La période connaît une multiplication des couleurs des vêtements de soie, influençant la mode en général. Le vocabulaire suit cette évolution, en s'interrogeant parfois sur la qualification d'une couleur précise : le rosa secca, par exemple, désigne la couleur des pétales de rose séchés, donc vraisemblablement un ton entre le brun et le rouge, tel celui du vêtement de l'Arétin dans son célèbre portrait par Titien. L'argent posa longtemps de grands problèmes sémantiques, mais aussi de goût puisqu'on le recouvrait jusqu'au XVIe siècle d'or pour obtenir du vermeil. La vaisselle dans Les Pèlerins d'Emmaüs reflète ce regain d'intérêt, par ses modulations en gris et noir_ la langue italienne participait de même à cette réévaluation, grâce aux adjectifs argentino ou argenteo désignant le blanc argenté, car les différentes variétés de vêtement en soie blanche nécessitait une précision accrue du lexique. Cette nuance pouvait déjà se constater chez Titien avec la robe de la femme vêtue dans L'Amour sacré et l'Amour profane, pour laquelle Dolce parle d'un satin blanc brillant et célèbre la maîtrise de la couleur blanche. Véronèse fera toutefois un usage plus généralisé de la teinte argentée, qu'il assortit d'une valeur morale. Blanc et argenté dominent dans Saint Marc couronnant les vertus théologales, par le biais de teintes mixtes les mêlant aux autres couleurs. Les allégories de la fin de carrière de l'artiste ne fixent pas véritablement un code de couleurs ; pourtant, elles obéissent à une certaine logique. Dans Le Choix entre la Vertu et le Vice, le personnage central est vêtu de blanc argenté, tandis que le vert est associé à la figure positive ; mais ce vert est également porté par le personnage tentateur du Jeune homme de la famille Sanuto entre la Vertu et le Vice (Prado), où le rouge indiquerait une inclination morale. Les deux toiles partagent le choix de couleurs contrastées pour la figure du Vice, au contraire des personnages vertueux avec une nuance dans le même ton. Dans ce système propre à Véronèse, la couleur n'est donc plus seulement décorative, mais aussi symbolique voire philosophique : plus qu'une œuvre d'art, le tableau devient une profession de foi artistique, où la couleur se confond avec la vie même.

Références photographiques :
- Titien, Le Transport du Christ, vers 1520, huile sur toile, 152x215 cm, Paris, Musée du Louvre
- Titien, Diane et Callisto, 1556-1559, huile sur toile, 187x204 cm, Edimbourg, National Galleries of Scotland
- Véronèse, Les Pèlerins d'Emmaüs, vers 1555-1560, huile sur toile, 242x416 cm, Paris, Musée du Louvre
- Véronèse, Le Choix entre le Vice et la Vertu, vers 1580, huile sur toile, 219x169 cm, New York, The Frick Collection

dimanche 11 octobre 2009

Peindre à Venise au XVIe siècle : Voir les miracles : politiques de la guérison chez Tintoret et Véronèse, par Augusto Gentili

L'heure était à la désinvolture pédagogique pour la deuxième conférence du cycle. En effet, l'auditorium accueillait Augusto Gentili, professeur d'histoire de l'art moderne à Venise, dont la science sur l'art de la lagune entre 1400 et 1600 n'a d'égal que sa verve d'orateur, toujours prêt à quelque plaisanterie ou exagération dans le seul but de rectifier une vision parfois trop romancée d'époques lointaines. De nature iconographique, sa conférence requérait en effet un œil subtilement critique, allié à une érudition hors pair sur l'histoire de la Sérénissime : des qualités montrées autrefois avec un rare brio par Daniel Arasse. C'est à ce grand historien de l'art qu'Augusto Gentili dédia son propos, en louant les travaux sur la vision et le détail de son collègue et ami prématurément disparu.


Rarement la peinture des miracles n'eut plus d'éloquence que dans le contexte de la scuola, ces confréries charitables qui commandèrent de nombreuses œuvres d'art. Au XVIe siècle, la plus puissante de ces organisations est sans conteste la Scuola Grande di San Rocco, rassemblant de riches marchands. Transférant leur siège dans un magnifiquement bâtiment situé à côté de l'église de leur saint tutélaire, les confrères souhaitaient transformer la scoletta, leur siège initial en face de l'actuelle scuola, en hôpital. Leur vœu ne put être exaucé, notamment en raison d'une opposition puissante des franciscains de Santa Maria gloriosa dei Frari, qui avaient accordé une part de leur domaine pour édifier la scoletta. De cet échec naquit peut-être la volonté d'imaginer un hôpital virtuel, à travers la commande passée à Tintoret de Saint Roch guérissant les pestiférés. Exécutée en 1549 pour l'église de San Rocco, la toile entasse les corps malades et souffrant, présentant de facto une ambiguïté entre guérison physique et guérison spirituelle. En 1567, de nouveau pour le chœur de San Rocco, Tintoret illustre un autre épisode de la vie du saint de Montpellier, Saint Roch en prison réconforté par un ange, où la vision lumineuse éclaire la prison et dévoile la misère des captifs, dans leur chair et dans leur âme.

Avant de poursuivre plus avant son analyse des scènes de miracle, Augusto Gentili rappelle un code de représentation simple, mais essentiel dans l'iconographie chrétienne. Lorsque le saint est bien debout, les deux pieds sur terre, et accomplit un miracle, l'épisode se déroule du vivant même du personnage. Par contre, si le saint est réduit à un buste volant, il s'agit d'une apparition miraculeuse, après sa mort. Cette différence fondamentale se remarque aisément dans des reliefs en bronze de Sansovino pour les tribunes de San Marco, narrant différents récits liés au saint patron de Venise. La convention visuelle s'observe pareillement dans le fameux Miracle de l'esclave de Tintoret : le saint a beau être dépeint en entier, il vole au-dessus de l'assistance, dans la mesure où cette intervention surnaturelle a lieu après son martyre. La toile, peinte en 1548, fut réalisée pour la Scuola Grande di San Marco, qui demanda par la suite d'autres tableaux à Tintoret sur les prodiges de l'évangéliste. Augusto Gentili s'attarde sur l'un d'entre eux pour corriger une interprétation qu'il juge fallacieuse, et s'en explique. La soi-disant Découverte du corps de saint Marc ne peut être rapportée à aucune source textuelle concernant un tel événement. Point encore plus gênant : où est saint Marc dans le tableau ? Ni le cadavre à terre ni le corps du vieillard sorti de la tribune ne semblent satisfaire aux conventions de l'époque. La seule nudité tolérée pour un saint dans l'art de la Renaissance était d'ordre héroïque, ainsi que l'on voit dans L'Enlèvement du corps de saint Marc, autre création magistrale de Tintoret pour la même confrérie. Poussant la contestation jusqu'à la provocation, Augusto Gentili ne croit guère que la figure d'homme debout à gauche corresponde à une apparition surnaturelle surgie de l'au-delà, sous la forme d'un fantôme phosphorescent. Comme il nous le rappelle : "Nous sommes face à une toile vénitienne du Cinquecento, pas devant un film d'horreur de série B !". Après la boutade, une lecture tout à fait convaincante s'impose, en prenant appui sur les reliefs cités de Sansovino. L'une de ces sculptures relate un épisode de la vie de saint Marc où celui-ci, simultanément, ressuscite un mort et exorcise un possédé, dont la position est reprise par Tintoret. Par conséquent, le saint Marc du tableau est bel et bien l'homme énergiquement levé à une extrémité, mais bien vivant ! Le miracle de la double guérison prend place dans un espace vaste, mais peu peuplé, avec uniquement les protagonistes principaux. Alors que l'esprit maléfique apparaît chez Sansovino sous la forme d'un petit démon, Tintoret représente un nuage de fumée sortant du possédé pour se perdre dans la voûte (l'on pourrait ajouter que ce type de représentation sera réutilisé, mais pour les figures bénéfiques des anges, dans La Cène à San Giorgio Maggiore). Mais qu'en est-il de ce cadavre qu'on sort d'une tribune ? L'explication fournie par Augusto Gentili reste du domaine de l'hypothétique, car il avoue l'absence de comparaisons visuelles et textuelles : il faudrait y voir la tentation pour certains témoins du miracle de vouloir multiplier les résurrections, comme si on pouvait les réduire alors à une "performance bureaucratique" selon le mot de l'intervenant...Quoi qu'il en soit, se détache au milieu de la scène un contemporain de Tintoret, ce vieillard agenouillé et tendant ses mains vers les deux miraculés, que l'on identifie à Tommaso Rangone, guardian grande de la scuola. Mort et maladie seraient alors des métaphores du péché, et la présence du chef des confrères nous ramène alors aux missions charitables de son organisation.

Retour à l'église de San Rocco, pour laquelle Tintoret fut décidément très actif puisqu'il y peignit aussi La Piscine probatique, datée de 1559. Rapportée par l'évangile de saint Jean, cette histoire met en scène le Christ guérissant un paralytique, que l'on voit partir à gauche avec un fardeau, sans même un regard pour son sauveur. Autour de Jésus, s'agglutine une foule, dont des personnages à gauche ne semblant pas (encore ?) se rendre compte du prodige ou bien en colère, car certains juifs reprochent au Christ d'avoir agi en plein Shabbat. En dépit du titre de l'œuvre, difficile de distinguer l'eau et la piscine, comme si l'intérêt dominant de la peinture résidait dans son message, en l'occurrence le remplacement des promesses non tenues de l'ancienne Loi par la Grâce. Cette représentation tranche singulièrement avec la toile dans la Scuola Grande di San Rocco qui, esthétiquement, ne peut souffrir la comparaison avec celle de l'église : Augusto Gentili n'hésite pas à parler d'un tableau laid et vulgaire, dans lequel on aurait bien du mal à reconnaître le génie de Tintoret, ni même le style plutôt lourd de son fils Domenico_ il nous faut souligner que cette toile a souffert d'importants repeints, oblitérant complètement son caractère autographe, comme pour tous les décors peints de la scuola. On ne peut toutefois nier les maladresses de la composition, avec ses personnages déplaisants, voire involontairement comiques, réunis autour d'une piscine boueuse. Dans le même temps, l'intervenant souligne combien, à l'arrière-plan, les arcades divisées en alcôves ressemblent à des lupanars, et lie cette singularité iconographique à l'épidémie de peste de 1576, donc peu de temps avant la réalisation de cette Piscine probatique. Or, la moralité traditionnelle liait la transmission de la terrible maladie aux rapports sexuels, et plus particulièrement par la femme. Maladie et péchés se confondent, encore une fois : une idée certainement renforcée par la mentalité des confrères de San Rocco, essentiellement des marchands sexophobes et condamnant les rapports extraconjugaux...La guérison croise la purification par l'eau, thème qu'on retrouve justement dans la toile en face de La Piscine probatique, Le Baptême du Christ.

Véronèse ne fut pas en reste dans le développement d'une iconographie miraculeuse, qu'il conçut notamment lors de ses importants travaux pour l'église de San Sebastiano. En 1559-1560, il fut appelé à peindre les volets d'orgue, associant La Présentation au temple à La Piscine probatique sur chaque face intérieure des montants. Les deux épisodes du Nouveau Testament ont trait au passage entre la Loi et la Grâce, puisque Marie participe à la rédemption christique. Comme Tintoret, Véronèse ne représente pas la piscine probatique, mais intègre un ange en vol conformément au texte de saint Jean, et invente un dispositif original en ménageant un vide entre les deux volets. Près du Christ, un homme vient de se mettre debout, encore légèrement courbé ; la foule, peu nombreuse, observe cette scène extraordinaire, et il n'y aura pas d'autre miracle. Placée dans l'église San Giorgio in Braida à Vérone et aujourd'hui au Musée des Beaux-Arts de Rouen, Le Miracle de saint Barnabé dépeint l'apôtre apposant l'évangile sur un jeune homme mal en point ; tout autour se pressent des non-croyants, dont certains semblent hostiles tandis que d'autres pourraient se convertir face au miracle sur le point de se produire_ belle illustration de la valeur persuasive de l'art religieux, notion qui sera surtout exploitée par l'art du XVIIe siècle. L'ultime toile du maître a aussi pour sujet un événement miraculeux, Saint Pantaléon guérissant un enfant, visible dans l'église vénitienne consacrée à ce saint : le personnage principal, médecin païen à la cour de Maximilien, rencontre un jeune garçon mordu par une vipère, laquelle explose littéralement sur le coin inférieur droit du tableau. La guérison s'opère en même temps que Pantaléon se convertit, suite à un vœu qu'il avait prononcé envers Dieu si le garçon venait à être sauvé. L'enfant convalescent est soutenu par le curé Bartolomeo Borghi, commanditaire de l'œuvre, dont le geste physique traduit sa force spirituelle_ ou comment rendre l'invisible par l'image, problématique essentielle du baroque qui trouvera de grands développements peu de temps après ce dernier chef-d'œuvre de Véronèse, daté de 1587...



Ces rapports complexes entre guérison spirituelle et guérison physique sont autant dus aux artistes qu'à leurs commanditaires : les images de Tintoret s'inscrivent dans la société de leur temps, notamment la classe marchande, alors que Véronèse opte pour une vision plus traditionnelle, basée sur l'engagement personnel de l'individu. Voilà qui aurait pu servir de conclusion, mais la faconde d'Augusto Gentili le pousse à d'autres raisonnements : selon lui, les rivalités entre les peintres se basent sur une certaine idée romantique encore trop présente dans les études actuelles, et mieux vaudrait parler de conflits entre commanditaires. Provocateur mais d'une justesse indéniable, il surenchérit pour affirmer l'impact très relatif à Venise de Titien dès les années 1540, vu que ses œuvres étaient avant tout destinées à la couronne espagnole. Augusto Gentili reconnaît qu'il pourrait parler de Titien pendant des heures, mais sait bien qu'on ne lui en laissera pas la possibilité...à moins d'un miracle ?

Références photographiques :
- Tintoret, Saint Roch guérissant les pestiférés, 1549, huile sur toile, 307x673 cm, Venise, église de San Rocco
- Tintoret, Saint Marc ressuscitant un mort et exorcisant un possédé (dit à tort La Découverte du corps de saint Marc), 1562-1565, huile sur toile, 405x405 cm, Milan, Pinacoteca di Brera
- Véronèse, La Piscine probatique, 1558-1560, huile sur toile, 490x190 cm (dimensions des deux montants réunis), Venise, église de San Sebastiano
- Véronèse, Saint Pantaléon guérissant un jeune garçon, 1587, huile sur toile, 277x160 cm, Venise, église de San Pantalon