
Travaillant en atelier d'après une expérience vécue des gens et de leur milieu, Hébert se situe donc à la jonction de ces pratiques. Parmi ses aquarelles où se détache sur le fond blanc une paysanne ou un marchand, apparaît un Autoportrait en Pifferaro, proche par son emphase romanesque des autoportraits du jeune Courbet. Hébert, passé par les Beaux-Arts et ancien prix de Rome, n'échappe pas tout à fait à l'appel du classicisme dans un envoi au Salon de 1857, Les Fienaroles de Sant'Angelo vendant du foin à l'entrée de la ville de San Germano (royaume de Naples), où affluent les souvenirs de Poussin dans la scansion par les trois couleurs primaires, élément partagé avec les célèbres toiles campagnardes de Millet. Chez Hébert, toutefois, surgit la fatalité du destin, avec ces femmes perdues dans leur environnement et leurs pensées, d'où une absence totale de communication entre elles, presque annonciatrice de la douce mélancolie de Puvis de Chavanne. Cette silencieuse tristesse caractérise de petites compositions urbaines, bien souvent élaborées d'après des photographies prises par Hébert lui-même, comme d'ambitieuses toiles présentées aux expositions universelles de 1855 et 1867. Les Filles d'Alvito et Les Cervarolles (États romains) montrent toutes deux un groupe de paysannes portant des récipients sur leurs têtes, placées respectivement devant un sentier escarpé de montagne et des marches taillées dans le roc. Par cette fusion de la canéphore issue de la peinture de la Renaissance et d'un cadre désolé étudié au préalable, Hébert se hisse au-dessus de l'anecdote et du misérabilisme : le format important, la résonance entre les conditions de vie de ces paysannes et l'arrière-plan rugueux, tout comme la sobriété générale, confèrent à ces toiles un certain souffle, ni romantique ni réaliste, qui élève la dureté rurale au rang des Beaux-Arts.

Hébert sait pareillement atteindre une vérité du sentiment quand il isole la figure. Certes, l'emploi d'un modèle en atelier donne une part d'artificialité, mais le résultat reste bien loin des fantaisies nostalgiques de Corot. Une impression étrange, presque de malaise, se dégage des petites filles : ces enfants au regard déjà marqué par les épreuves, l'air un peu maladif, les membres tendus, ont une véritable parenté avec les effigies enfantines, fascinantes d'inquiétude, du Géricault de Louise Vernet et d'Alfred et Élisabeth Dedreux. Songeuses elles aussi, leurs aînées s'appuient volontiers sur une fontaine, comme pour se reposer de l'effort et s'isoler loin de ces tâches pénibles, sans cesse répétées. Hébert délaisse tout contexte dans ses fusains centrés uniquement sur le visage des paysannes, troquant les conventions du cadre contre une précision psychologique : des regards lourds et implacables parlent d'une Arcadie italienne où le malheur existe aussi...
Italiennes modèles Hébert et les paysans du Latium, du 7 avril au 19 juillet 2009 Musée d'Orsay (Galerie Lille, salle 8), 1 rue de la Légion d'Honneur 75007 Paris. Ouvert tous les jours sauf le lundi de 09H30 à 18H00 ; nocturnes le jeudi jusqu'à 21H00. Tarif : accès avec le billet pour les collections permanentes. Catalogue sous la direction d'Isabelle Julia et Laurence Huault-Nesme (La Tronche et Paris, Musée d'Orsay et Musées Hébert, non paginé, 23 euros).
Références photographiques :
- Ernest Hébert, Les Filles d'Alvito, 1855, huile sur toile, 218x150 cm, Paris, Musée national Ernest Hébert
- Ernest Hébert, Rosa Nera à la fontaine, 1856, huile sur toile, 63x50,3 cm, Paris, Musée national Ernest Hébert
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