dimanche 14 mars 2010

Éloge du négatif les débuts de la photographie sur papier en Italie (1846-1862) : exposition à Paris, Petit Palais

Les expositions parisiennes sur l'art italien du XIXe siècle se multiplient sans heureusement se ressembler. Avant une rétrospective Giuseppe de Nittis à l'automne, le Petit Palais revient sur les débuts de la photographie dans la péninsule_ soit entre l'invention du procédé et l'unité nationale menée par Garibaldi. Époque ô combien riche pour les arts et l'Histoire, mais dont la complexité peut paraître quelque peu rebutante. C'est pourquoi le propos est tout d'abord technique, afin de guider le visiteur guère familier des différents procédés. Alors que le français Daguerre mit au point un dispositif assez contraignant, défini par une épreuve unique et une sujétion encore forte aux médias traditionnels, l'anglais Talbot inventa en 1841 le calotype. La "belle image" peut être obtenue en plusieurs exemplaires, par tirage sur papier salé à l'aide d'un négatif. Les étapes de fabrication sont explicitées par une série de clichés et un film autour de Martin Becka : d'origine tchèque, cet ancien reporter installé en France s'est pris de passion pour la photographie ancienne, au point de développer lui-même en atelier ses négatifs suivant les méthodes du XIXe siècle. Il explique le déroulement de son travail avec autant d'enthousiasme que de pédagogie, renouant avec l'esprit des "pionniers".


Souvent peintres de formation, les premiers photographes de calotype privilégient cette technique pour la texture veloutée et les nuances picturales qu'elle permet. Ils "trichent" d'ailleurs, en retouchant au pinceau le négatif pour accentuer les contrastes sur le positif. La quantité variable d'or utilisée lors du virage permet aussi de modifier nettement les tons du cliché, du brun au noir. Les rapports avec la peinture se révèlent également dans les sujets comme les compositions. Les vues plongeantes sur Rome prises par Alfred-Nicolas Normand ou Frédéric Flanchéron, masses bien géométriques calées entre les cyprès jusqu'à l'horizon, présentent des analogies frappantes avec des tableaux de Corot. Les humbles figures isolées de Giacomo Caneva, par le détail de leur vêtement et le cadrage les monumentalisant, semblent des contrepoints photographiques aux tableaux de Millet, tout comme le Pifferaro (1846) d'Amélie Guillot-Saguez_ curieusement, on parle assez peu du rôle des femmes dans l'essor de la photographie_ possède une farouche noblesse peu éloignée de l'esprit romantique.

Loin d'être un simple atout mécanique, la reproductibilité visait deux buts précis, à savoir immortaliser un site pour les touristes et inventorier les richesses patrimoniales du territoire italien. Dans la ligné du Grand Tour, des "curieux" français, anglais ou allemands voyagèrent avec leur objectif à portée de main ; certains se lancèrent même dans des projets démesurés, tel Eugène Picot et L'Italie monumentale (1851-1853) en cinq fascicules. Commercialement peu concluante, l'entreprise reste cependant un jalon dans l'histoire de la photographie par son ambition encyclopédique et la finesse des œuvres, de la retouche des négatifs aux nuances du positif. Bien que moins nombreux, les Italiens eux-même se lancèrent dans pareil périple, parcourant leur nation sur le point de s'affirmer. L'un des premiers fut Giacomo Caneva avec son Album de photographie italienne (vers 1852), qui toutefois se cantonne essentiellement aux vestiges romains et aux trésors du Vatican. Après la disparition de Caneva en 1865, certains de ses négatifs servirent dans les années 1870 à Lodovico Tumicello, pour des développements sur papier. Quant à Luigi Sacchi, sa série des Vedute, monumenti e costume d'Italia (1852-1855), donc à la fois esthétique et ethnographique, opte pour des grands formats à la mise en page soignée, à même d'exalter la grandeur passée de Rome en plein Risorgimento. Avec Naples, dont la baie majestueuse et les curiosités archéologiques captivent James Graham, Venise retient la plus grande attention des premiers photographes. Nul ne s'étonnera que les édifices bordant le Grand Canal, assemblage mouvant de couleurs et de motifs caressés par le soleil et les eaux, se retrouvent sur les clichés les plus réussis : pris tous deux vers 1855, le palazzo Cavalli-Franchetti par Giuseppe Cimeta et le Palazzo Doria par Domenico Bresolin, avec les beaux effets de fondus dans les reflets et la diffraction des formes solides de l'architecture, renouvèlent l'iconographie de la vedute entre Canaletto et Monet. Du même Bresolin, toujours dans la Cité des Doges, l'abside de l'église des Frari (vers 1855) revêt aujourd'hui une valeur documentaire, tant les abords de la célèbre basilique franciscaine ont depuis changé. Pareil pour le Forum romain vu par Thomas Sutton (1851-1853) avant les grandes fouilles : entre l'arc de Titus et les vestiges du temple de Saturne, s'étend une grande plaine, sous laquelle dorment des ruines glorieuses...


Cette aventure prit fin ou plutôt mua sous le coup de bouleversements fondamentaux. Alors que l'Italie parachevait son unité, la photographie se perfectionna avec l'emploi d'un support de verre, plus précis mais aussi plus fragile. C'est pourquoi une partie des voyageurs resta fidèle au tirage papier, entre autres Léon Méhédin publiant en 1859 Campagnes d'Italie, après avoir accompagné Napoléon III jusqu'à Valeggio. Les conditions mêmes de la pratique photographique changèrent aussi, passant de l'expérience en amateur à une réalisation industrielle exigeant contrôle et précision. La netteté absolue des tirages Alinari correspond à ces nouveaux critères, tout comme la constitution d'une maison pour diffuser les clichés auprès du plus grand nombre. Un nouveau chapitre de l'histoire de la photographie s'ouvrait, non moins prometteur.

L'exposition sera ensuite présenté à Florence, Museo Nazionale della Fotografia, 10 septembre-24 octobre 2010

Éloge du négatif les débuts de la photographie sur papier en Italie (1846-1862), du 18 février au 2 mai 2010, Petit Palais-Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Avenue Winston Churchill, 75008 Paris. Ouvert tous les jours sauf le lundi et les jours fériés de 10H00 à 18H00. Plein tarif : 6 euros ; réduit : 4,50 euros ; demi-tarif : 3 euros ; gratuit jusqu'à 13 ans. Catalogue collectif (Éditions Paris Musées, 256 pages, 37 euros).

Références photographiques :
- Gustave de Beaucorps, Rome, San Pietro in Vincoli © collectionprivée
- Giacomo Caneva, Rome, Temple de Vesta
© FratelliAlinari
- James Graham, Vésuve, coulée de lave de 1858-60
© FratelliAlinari
- Giacomo Caneva, Ludovico Tuminello, Rome, arc de l'aqueduc de Claude © FratelliAlinari

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci Benjamin pour cet article bien documenté sur les debuts de la photographie en Italie.
Jacques GRIGGIO