dimanche 21 février 2010

Orfèvrerie, peinture et gastronomie : le Piémont à Paris

Une grande campagne de promotion touristique de la région piémontaise est lancée à Paris pendant tout le mois de février 2010. A côté de diverses opérations qui vantent les terres du borsalino, de la bataille de Marengo ou du champion cycliste Coppi, doivent être signalées deux expositions à thème artistique. La première, à la mairie du Ve arrondissement, propose une introduction à l'art de Felice Giani (1758-1823), peintre originaire du Piémont qui eut notamment une importante en France. Dans ce pays, l'artiste reste pratiquement méconnu, alors que d'importantes études lui ont déjà été consacrées en Italie : une véritable somme (en deux volumes, totalisant 1003 pages en tout !) publiée chez Electa en 1999 par Anna Ottani Cavina restitue l'intégralité de l'œuvre de Giani tout en évoquant son contexte. Plus récemment, se tint une exposition Felice Giani dipinti e disegni da collezioni private (San Sebastiano Curone, 18 juillet-12 septembre 2004), dont un grand nombre de tableaux ou dessins sont également montrés à Paris. La rétrospective française a trait également aux liens unissant la France à l'Italie, dans le cadre en l'occurrence du néoclassicisme. Le grand paradoxe du retour à l'antique à la fin du XVIIIe siècle réside dans le fait que Rome est bel et bien son creuset mais avec la contribution décisive d'artistes étrangers : sans négliger le rôle joué par Canova et Piranèse dans l'élaboration du néoclassicisme, l'action de Thorvaldsen, Hamilton, Mengs ou David fut tout aussi notable. Plus encore, l'hégémonie davidienne dans la peinture européenne autour de 1800 fit de Paris la capitale des arts au détriment progressif de la Ville éternelle. Face à ce constat, réhabiliter l'activité des maîtres italiens de la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle permet de relativiser l'impression de déclin laissée par la production d'outre-monts après l'effervescence baroque.



En dépit de cette bonne volonté, on peut regretter le nombre restreint d'œuvres, dont le contingent le plus fort est celui des gravures d'interprétation, d'après des copies dessinées par Giani de tableaux de maîtres anciens. De même, les fréquentes erreurs et maladresses de traduction rendent pénible la lecture des panneaux d'introduction, pourtant fort instructifs : on y apprend que Giani occupait une place de choix dans le microcosme romain qui se retrouvait au Caffè Greco, notamment Canova et Camuccini qui signèrent son diplôme de l'Académie de Saint-Luc. L'artiste s'illustra également dans la décoration des Procuratie Nuove de Venise en 1807 ou participa à la réalisation de l'arc de triomphe érigé pour l'entrée de Napoléon à Bologne en 1805. Le milieu français impérial fut en effet favorable à Giani, protégé par Antonio Aldini, ministre italien à Paris. L'artiste séjourna probablement dans la capitale française en 1801, avant de décorer la villa du comte Aldini à Montmorency. Une idée de sa production ornementale est donnée par toute une série de dessins de figures ailées, putti ou victoires, à portée souvent allégorique. Outre la diversité de manière entre le crayon, ferme, et l'encre, plus elliptique, la main varie aussi le traitement des corps, de la grâce un peu évaporée aux contours plus assurés mais aussi plus inquiets. On retrouve là toutes les nuances de la création à la fin du XVIIIe siècle, de la légèreté aimable propre à Thomire et Thorvaldsen aux formes plus sévères de David et Blake. Psyché adorée comme Vénus se rapproche même de l'exigence de Flaxman dans la pureté des profils et l'agencement des formes.Cette volonté d'expressivité du trait n'est pas moindre dans les gravures illustrant Le Notti romane (1804) d'Alessandro Verri, d'après les dessins de Giani. Le recours à l'aquatinte permet de créer une ambiance à la limite des fantasmagories de Füssli et ses ténèbres tragiques, d'où jaillissent le meurtre et l'effroi au temps des anciens Romains. Les deux ensembles de dessins appartenant à Vittorio Sgarbi (un recueil de voyages et des illustrations de Dante) révèlent aussi une hésitation fascinante entre le culte du beau antique et le doute sur sa suprématie, interrogation propre à ces temps troublés.

Parmi les quelques toiles exposées, certaines constituent de véritables découvertes. C'est le cas d'une Vierge à l'Enfant trônant entre saint Bernard et saint Jean-Baptiste enfant, composition mesurée et un peu froide suivant les nouvelles doctrines esthétiques ; mais persiste néanmoins un esprit baroque dans le clair-obscur, dans le coloris décoratif de l'habit de la Madone et la vigueur du pinceau dans les plis du cistercien. L'hommage de Giani à l'art du XVIIe siècle se fait évident dans des œuvres telles que La Sainte Famille, faisant du sujet religieux une vraie scène de genre avec une brièveté dans l'exécution encore proche du rococo ; Ancor io fui in Arcadia, sujet ayant trait à la découverte de la mort par les bergers d'Arcadie et brillamment traité par Poussin ou Guerchin, sous le titre Et in Arcadia ego. Guerchin fut d'ailleurs copié par Giani, qui reprit sa Sybille persique (1647, Rome, Pinacothèque Capitoline), en atténuant quelque peu le sfumato ombrageux du peintre de Cento sans rien changer au contraste puissant et dynamique entre le bleu profond et le rouge sanguin. Ce regard, alors déjà rétrospectif, sur l'art du passé trouve son expression la plus franche dans la série de dessins réalisés par Giani d'après les œuvres du Louvre. Ou plutôt le Musée Napoléon, abritant alors la collection la plus riche jamais constituée, grâce aux "prises de guerre" artistiques des armées françaises dans toute l'Europe. Ces dessins donneront lieu à des gravures illustrant Le Musée Français publié entre 1803 et 1809, puis Le Musée Royal entre 1816 et 1818, soit le Louvre après le Congrès de Vienne. Des collections constituées sous le Premier Empire, furent notamment copiés La Déposition de Caravage (Le Vatican, Pinacothèque), L'Annonciation d'Orazio Gentileschi (Turin, Galleria Sabauda), Le Christ avec les quatre évangélistes de Fra Bartolommeo (Florence, Palazzo Pitti), pour ne citer que les tableaux italiens temporairement conservés à Paris avant de revenir de l'autre côté des Alpes. Voilà comment s'achève ce parcours fort intéressant mais qui pourrait laisser sur sa faim : dans ce cas, direction l'étage supérieur où le visiteur pourra se livrer à une autre forme de délectation. Après le plaisir de l'œil, le goût est à l'honneur avec une dégustation gratuite de produits gastronomiques de la région du Monferrato, d'où était issu Giani. Vin, chocolat et grissini offrent un délicieux complément culturel aux beaux-arts.

De l'autre côté de la Seine, au Petit Palais, l'itinéraire piémontais se poursuit, au milieu des joyaux. La création italienne de luxe n'a plus de preuves à faire, si l'on songe notamment au domaine de la mode. Le travail des pierres et matériaux précieux connaît pareille vitalité, à l'exemple de Valenza. Depuis 1945, les entreprises de bijouterie autour de cette cité piémontaise se sont regroupées dans l'Associazione Orafa Valenzana, afin de mieux diffuser leur production. Un échantillon significatif de ces objets précieux permet de constater que l'habileté technique n'y égale que l'invention des formes. Aux motifs géométriques simples des bijoux Ceva, se substitue bien souvent une inspiration véritablement naturaliste. Les bracelet et montre-bracelet en forme de serpent réalisés dans les années 1960 par l'atelier Carlo Illario e Fratelli ont à voir avec la résurgence Art Nouveau de l'époque, mais la tendance se prolonge jusque dans les années 1980 avec les broches rose ou papillon de Carlo Barberis. Quant au Gladiolo (glaïeul) Garavelli Aldo, c'est une imitation aussi sobre que convaincante de cette fleur, où le modèle charmant de la nature est délicatement imité en or blanc et or jaune_ faut-il y voir un lointain avatar des fameuses roses des orfèvres siennois du Moyen Âge ?

Ce savoir-faire exigeant et spectaculaire porta ses fruits puisque les joailliers de Valenza remportèrent de nombreuses fois le Diamonds International Award, sous l'égide de la célèbre maison De Beers. Parmi les pièces récompensées, outre les colliers et bagues aux courbes souples soulignées par les rangées scintillantes de diamants, se détache Night and Day. Ce volumineux bracelet possède de vrais accents lyriques, tant par son nom (commun à des œuvres musicales de Cole Porter et Léo Ferré, ou poétique de Robert Louis Stevenson) que par l'harmonie dynamique des textures_ l'émail bleu, dense et profond, sur lequel surgissent les astres en or jaune et or blanc, parsemés de brillants, évocation des étoiles. Entre 1967 et 1971, la maison Frascarolo & C se lança avec succès dans l'édition de bijoux animaliers. Au sein de ce bestiaire se mêlent pièces humoristique_ la broche Bassolto (basset), dont le museau allongé, le corps étiré et les courtes pattes sont taillées dans le même morceau d'onyx_ et motifs plus racés de fauves : bracelet Leone dont le fermoir est articulé par une gueule de lion, pendentif Ghepardo détachant le pelage tacheté sur les veines de l'œil de tigre, bague Tigre et ses subtiles nuances de blanc et noir, or et vermeil.



Quelle que soit son répertoire et ses matériaux, chaque objet fut élaboré de la façon la plus aboutie qui soit, en employant simultanément l'émail, le métal et les pierres pour se rapprocher de la vivacité animale. La conception de ces bijoux bénéficie d'ailleurs en amont de dessins aquarellés pour le coloris et l'articulation, ainsi que de modèles en argent à l'échelle, pour saisir le volume et éventuellement la polychromie. Certains de ces projets n'ont jamais été exécutés, restant à l'état de propositions pour les bijoutiers. Cette importance du disegno, chère à l'art italien, ne fait-elle pas de ces pièces de véritables œuvres d'art ?

Felice Giani. Maître du néoclassicisme italien à la cour de Napoléon, du 8 au 28 février 2010, Mairie du 5e arrondissement, 21 place du Panthéon, 75005 Paris. Ouvert du lundi au vendredi de 10H00 à 18H00, samedi et dimanche de 11H00 à 18H00. Entrée libre. Catalogue par Vittorio Sgarbi, Vincenzo Basiglio, Davide Tolomelli (Fondazione Cassa di Risparmio di Alessandria, 2010, 180 pages, 30 euros).

Valenza ou la joaillerie italienne A la découverte de Valenza : joaillerie, bijouterie et orfèvrerie. Le style italien dans le courant du XXe siècle, du 8 au 28 février 2010, Petit Palais-Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, Avenue Winston Churchill, 75008 Paris. Ouvert tous les jours sauf le lundi et les jours fériés de 10H00 à 18H00. Entrée libre (avec l'accès gratuit pour les collections permanentes). Catalogue sous la direction de Lia Lenti (2010, 143 pages).


Références photographiques :
- Felice Giani, Psyché adorée comme Vénus (esquisse préparatoire pour le décor de la galerie de l'étage noble du Palazzo Laderchi à Faenza), 1794, dessin à la plume, encre brune et aquarelle colorée, 10,4x59,5 cm, collection privée
- Felice Giani, Du Manuscrit Poétique, Chant I : le Poète assiste impuissant à la chute de beaucoup de monde dans le gouffre, en présence de trois enfants, pendant que dans le ciel apparaît une figure féminine gracieuse "il y en arriva tellement que mon interprétation limitée ne pourra répéter combien j'en vis et comment ils tombèrent dans l'abîme obscur" (Manuscrit Sgarbi, Voyages philosophique et poétique, voyageurs amoureux, voyage amoureux), dessin à la plume et à l'encre, 17,8x13 cm, collection Vittorio Sgarbi
- Felice Giani, Vierge à l'Enfant trônant entre saint Bernard et saint Jean-Baptiste enfant, huile sur toile, 180x120 cm, Tortona
- Damiani, Night and Day, 1994, or blanc, or jaune, émail bleu, brillants, collection Damiani

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci d'avoir dit du bien de cette belle et courageuse exposition, quand des sites de dénigrements systématiques de toutes les initiatives culturelles interresantes comme latrinedelart.com l'ont comdamnée sans la voir.