vendredi 29 mai 2009

Simon Vouet les années italiennes (1613-1627) : exposition à Besançon, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie

L'historiographie traditionnelle a fait de l'année 1627 une date charnière pour le développement de l'art français, avec le retour de Simon Vouet à Paris et l'épanouissement d'une grande école de peinture capable de rivaliser avec la manière italienne. C'est justement parce qu'il avait passé une grande partie de sa jeunesse de l'autre côté des Alpes, que Vouet fut capable d'assimiler les courants les plus appréciés de son époque pour en tirer un style riche et séduisant. Cette période de maturation reste toutefois encore mal connue : des points essentiels divisent toujours la critique, entre autres la datation de la plupart des œuvres et la répartition des tableaux entre Vouet et ses collaborateurs. Des questions cruciales très bien traitées par cette exposition qui, à bien des égards, se révèle une grande réussite sur les plans scientifique et pédagogique. Alors que les familiers de la peinture ancienne pourront discuter de tel argument ou hypothèse, ceux qui s'initient à l'art du XVIIe siècle en apprendront beaucoup grâce aux cartels, exemplaires, explicitant les subtilités iconographiques et les caractéristiques stylistiques avec autant de concision que de sérieux. Le parcours s'articule clairement de façon chronologique, et inclut aussi une section réservée à l'atelier, autour d'un choix d'œuvres bien justifié. Certaines toiles de l'étape nantaise n'ont pas été retenues, mais Besançon ouvre sur la période parisienne de Vouet grâce à la vingtaine de dessins conservés par le musée et accrochés à cette occasion dans sa salle d'arts graphiques.

Alors que la présence de Vouet dans la péninsule est attestée dès 1613, les premiers tableaux italiens ne semblent remonter qu'aux années 1615-1616. Suivant la même voie que de nombreux autres peintres européens de l'époque, Vouet témoigne d'une dette évidente à l'égard de Caravage, mort peu de temps auparavant. Jeunes gens à l'air trouble, cadrés à mi-corps, dépeints avec une palette sombre, l'héritage du maître est repris consciencieusement. Y compris dans son érotisme latent_ainsi La Madeleine pénitente (cat. 14, vers 1616, collection particulière) prête à embrasser le crucifix, ou encore le geste ouvertement obscène du pouce entre deux doigts, commun au Jeune homme à la figue (cat. 9, vers 1615, Caen, Musée des Beaux-Arts) et à la Jeune femme jouant du tambour de basque (cat. 8, Lons-le-Saunier, Musée des Beaux-Arts), tous deux seulement attribués à Vouet. Ce problème de mains, soit très proches soit identiques, concerne aussi des figures d'apôtres : malgré une facture comparable des deux tableaux, le Saint Simon de Nantes (cat. 22) se caractérise par une structure synthétique, qui le différencie d'un Saint André en collection privée (cat. 23, vers 1618), au traitement plus graphique et probablement postérieur. Seraient-ce des tableaux autographes reflétant la versatilité picturale de Vouet, ou bien une création d'un maître et celle d'un disciple visiblement aussi doué ? En tout cas, cette production est à rapprocher des séries contemporaines de Ribera et Greco sur les disciples du Christ, avant que Georges de La Tour ne s'y consacre. Tout aussi virtuose que ses célèbres contemporains, le peintre se concentre sur l'intériorité du saint personnage et creuse les reliefs de l'épiderme par une modulation de l'éclairage, d'où cette impression de visage caractérisé et non d'image pieuse générique. Avant même le séjour romain, Vouet avait voyagé à Londres et Constantinople en qualité de portraitiste. Ces données biographiques soulignent la virtuosité du peintre dans le genre, où il se contente de touches brunes et blanches pour donner la sensation d'une présence qui passe par un regard furtif, le froissement d'une fraise ou les lèvres à peine ouvertes.

Finalement, le caravagisme n'est qu'un des modes adoptés par Vouet pour forger sa personnalité artistique ; la clarté formelle des Bolonais et la chaude couleur vénitienne lui conviennent tout autant, ce qui explique la diversité des tableaux sur une même période. Toutes ces influences parviennent à une heureuse synthèse autour de 1620. Dans le tondo de La Charité romaine (cat. 19, vers 1620, Bayonne, Musée Bonnat), les courbes se répondant et le visage idéalisé de la jeune femme puisent au classicisme émilien de Guido Reni, associé à une déclinaison coloriste recherchée. De style plus ténébriste, l'allégorie de L'Intellect, la Mémoire et la Volonté (cat. 20, vers 1620, Pinacothèque Capitoline) donne corps à des concepts de l'esprit, grâce au découpage des chairs nues par l'ombre dense. Vouet fait autant appel à la théâtralité des premiers maîtres baroques qu'à la couleur large et vive de Tintoret lorsqu'il exécute La Nativité de la Vierge (cat. 18, vers 1620), destinée à une chapelle de l'église romaine de San Francesco a Ripa, où elle est normalement conservée. Approximativement datée, la toile est néanmoins considérée comme la première réalisation publique de Vouet, déjà soutenu par l'entourage du pape francophile Urbain VIII_ appui qui lui vaudra, quelques années plus tard, une importante commande pour San Lorenzo in Lucina.


Peu avant ou après son séjour génois de 1621, Vouet peint quelques tableaux religieux où il médite avec finesse l'œuvre de Caravage. Variante réfléchie du Saint Matthieu et l'ange de la chapelle Contarelli à Saint-Louis-des-Français, son Saint Jérôme et l'ange (cat. 21, vers 1620-1621, Washington, National Gallery of Art) s'articule autour de l'acceptation par le père de l'Église d'une mort imminente ; le pathétique de l'instant se fond dans la relation intimiste entre les deux protagonistes, et cette virtuosité sans pareille pour traduire avec la même beauté jeunesse et grand âge. La sublimation de la mort par la confiance sereine en la vision est aussi au cœur du Martyre de sainte Catherine d'Alexandrie (cat. 24, vers 1621-1622, Suisse, collection particulière). La jeune femme, sur le point de mourir, reçoit la palme du martyre des mains d'un ange : la mise en page de l'envoyé céleste, en train de se baisser sur le monde terrestre, cite littéralement Le Martyre de saint Matthieu de la chapelle Contarelli (comme le fera ultérieurement Valentin de Boulogne dans son Martyre de saint Procès et saint Martinien, peint pour la basilique Saint-Pierre et aujourd'hui dans la Pinacothèque Vaticane). Néanmoins, Vouet a aussi conçu cet ange par le dessin d'après nature, puisque l'on conserve une étude à la pierre noire (cat. 59, Paris, collection particulière) pour cette figure, afin de préciser l'articulation anatomique. La sainte Catherine du tableau affiche un pareil naturalisme, avec ses seins lourds et son ventre rond...Rare toile signée et datée de cette époque, La Circoncision (cat. 30, Naples, Musée de Capodimonte, dépôt de la Congrega de Sant'Angelo a Segno) rappelle les créations ambitieuses du dernier Caravage : Vouet s'essaye ici à la composition à nombreux personnages dans une architecture complexe ; la liaison fluide des attitudes permet de concilier équilibre et dynamisme. La grande manière parisienne est déjà en germe, par cet élan baroque, et La Circoncision trouvera d'ailleurs un certain écho de sa construction dans La Présentation au temple du maître-autel de l'église Saint-Paul-Saint-Louis_ destinée aux jésuites, comme ce fut probablement le cas pour l'œuvre napolitaine.

Les commandes passées par les mécènes génois témoignent d'un moment de transition stylistique. Au sein des toiles religieuses s'affirme une tendance ouvertement décorative (y compris dans l'impérieuse Crucifixion du Gesù de Gênes, qui n'a pas été déplacée). Les sublimes accords bleu-orangé ou bordeaux-azur des draperies des femmes dans Saint Sébastien soigné par sainte Irène et une de ses suivantes (cat. 28, vers 1622, Naples, collection Condorelli) trahissent la leçon de Véronèse, tandis que le charme doucereux de Corrège s'invite dans Un ange expliquant les mystères divins à Marie-Madeleine auprès du tombeau du Christ (cat. 29, 1621, Rome, collection particulière)_ d'une qualité indiscutable, contrairement à son attribution qui laisse sceptiques certains historiens de l'art. Le réalisme perdure par contre très nettement dans le portrait, comme celui monumental de Giovan Carlo Doria (Cat. 26, 1621, Louvre) dont le coup d'éclairage n'épargne ni le nez un peu rougeaud ni le regard perdu dans le vide. Vestiges du travail initial de l'artiste avant sa "correction" idéalisante du motif sur la toile, de rares esquisses à l'huile prouvent que Vouet prenait d'abord appui sur la nature, au point qu'on peut parler non plus de type mais d'individu dans une Tête de la Vierge (cat. 32, vers 1623, collection particulière) ou une Tête de jeune femme (cat. 31, vers 1621, France, collection particulière).

En 1624, le succès de Vouet est tel qu'il devient le premier français non seulement à la tête de l'Académie de Saint-Luc mais aussi à recevoir une commande pour Saint-Pierre de Rome. Et pas n'importe quelle commande : un décor pour le fond de la chapelle accueillant la Pietà de Michel-Ange, rien que ça ! Le groupe sculpté dicte l'iconographie retenue par l'artiste, auteur d'une Adoration de la croix et des instruments de la Passion, malheureusement détruite au XVIIIe siècle. Quelques fragments d'études peintes ont néanmoins subsisté, l'un d'entre eux n'étant réapparu qu'en 2006 et d'autres pourraient être redécouverts tôt ou tard...Un petit bozzetto (cat. 40, 1625, collection particulière) montre la partie supérieure de ce décor, dont certains détails seront sensiblement modifiés dans les divers modelli de grandes dimensions actuellement connus. S'élançant dans les cieux, les anges s'appuient sur des nuages bien matériels, selon une formule mise au point par les Carrache. Une lumière claire inonde la composition et avive les couleurs légères des drapés : parvenu à maturité, Vouet assimile parfaitement la force persuasive de l'art de la Contre-Réforme pour donner une forme tangible à ce qui ne peut être ressenti par les sens.



Entouré, Vouet l'était à l'instar de n'importe quel maître de son temps, à la tête d'un atelier où les collaborateurs occasionnels ou durables subissaient l'influence variable de sa peinture. C'est d'abord une histoire de famille. Faisant contraste avec la sombre et lourde dépouille de Goliath, un ragazzo prête son corps imberbe et ses traits lisses à un David (cat. 84, vers 1620-1621, Bordeaux, Musée des Beaux-Arts) dû à Aubin Vouet, frère cadet de Simon. Autre personnage tiré de l'Ancien Testament et mêlé à une histoire de décapitation, une Judith avec la tête d'Holopherne (cat. 91, vers 1624-1626, Nantes, Musée des Beaux-Arts) est la seule toile qu'on peut aujourd'hui donner à Virginia de Vezzi, épouse et modèle favori de Vouet, où madame se montre à peine moins talentueuse que son mari. D'autres artistes, promis à une belle carrière, gravitent autour de cet atelier : ainsi Claude Vignon et ses jeunes hommes à la pose théâtrale, ou Claude Mellan, davantage connu pour son activité de graveur, mais capable d'exceller dans le domaine pictural, comme le démontre un Samson et Dalila (cat. 88, vers 1624-1626, collection Koelliker) centré sur l'instant silencieux précédant la fureur. Sont également représentés des noms bien moins connus, mais tout aussi estimables. Citons Jacques de Létin (dont l'œuvre est surtout conservé au Musée d'Art et d'Histoire de Troyes ainsi que dans les églises de la région champenoise) et l'obscur Henri Traivoel avec son probable Autoportrait (cat. 86, vers 1622, Paris, collection particulière)...à vrai dire son seul tableau connu !

A voir les dernières toiles peintes par Vouet à Rome, on comprend aisément que Louis XIII (qui fera partie de ses élèves) ait tenu à le rappeler en France. Alors que le jeune Poussin commence à se faire connaître dans le milieu romain, Vouet possède une aisance alors indiscutable, en faisant le chef de file de la peinture française. La séquence des images de saintes, isolées et cadrées aux trois-quarts, offre un panorama éloquent de ce style, généreux dans la couleur et gracieux dans la forme. Même une œuvre d'atelier comme la Sainte Cécile (cat. 18, Nantes, collection particulière ; l'originale est conservée au Texas, au Blanton Museum of Art d'Austin) ravit l'œil, apothéose chromatique par ses mordorés de bleus et roses coulant dans les plis du vêtement. La typologie caravagesque perdure quelque peu dans une Sainte Madeleine (cat. 51, vers 1627, Los Angeles, The County Museum of Art) où des commentateurs ont reconnu la femme de Vouet. Une hypothèse convaincante, au regard de la beauté épanouie de cette femme jouant avec sa chevelure et au regard légèrement malicieux, pas très catholique...Le séjour romain s'achève avec Le Temps vaincu par l'Espérance, l'Amour et la Beauté (cat. 52, signé et daté 1627, Prado), assez étrange par sa violence (rare chez Vouet) et ses physionomies peu attirantes, rendues avec une touche aérienne : la toile madrilène se révèle être un compromis génial entre la rigueur du langage allégorique et la vérité du détail observé. Ce parcours Vouet pourra se prolonger par les années parisiennes, grâce aux collections permanentes. Aux cimaises se succèdent les disciples : Eustache Le Sueur (Junon répandant ses bienfaits sur Carthage), Aubin Vouet (L'Archange saint Michel terrassant le dragon), ou encore Charles Le Brun (Allégorie tête casquée). Sans oublier une toile du maître, Le Ravissement de sainte Madeleine, où subsistent encore des souvenirs de Bologne et Rome...

Simon Vouet les années italiennes (1613-1627) du 26 mars au 29 juin 2009 Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie de Besançon 1 place de la Révolution (place du marché), 25000 Besançon. Ouvert tous les jours sauf le mardi de 09H30 à 12H00 et de 14H00 à 18H00 ; le week-end de 09H30 à 18H00 ; nocturne le jeudi jusqu'à 20H00 (uniquement pour les expositions temporaires). Tarif plein : 5 euros ; tarif réduit : 2,50 euros (pour le samedi et une heure avant la fermeture du musée) ; gratuit pour les moins de 18 ans (le billet donne aussi accès aux collections permanente et au Musée du Temps). Catalogue collectif (Éditions Hazan, 2008, 208 pages, 30 euros).

Références photographiques :
- Simon Vouet, Saint Simon, Nantes, Musée des Beaux-Arts © Photo. a. guillard
- Simon Vouet, Saint Jérôme et l'ange, Washington, National Gallery of Art, Samuel H. Kress Collection © Image courtesy of the board of trustees, national gallery of art, washington.
- Simon Vouet, Saint Sébastien soigné par sainte Irène et une de ses suivantes, Naples, collection Condorelli © Crédits réservés
- Simon Vouet, Les Anges portant les instruments de la Passion, Besançon, Musée des Beaux-Arts et d'Archéologie © Charles Choffet

2 commentaires:

alix a dit…

Vouet est un des peintres français du XVIIe que je préfère, entre équilibre classicisme et chatoyance baroque! Mais faute de temps, entre autres, j'ai raté l'étape Nantaise de l'exposition, plus axée sur les peintures et qui m'intéressait a priori le plus. Je pense que je n'aurai pas le temps non plus de me rendre à Besançon, quelle frustration! Merci, donc, pour cet aperçu!

Yvette a dit…

Oui ; comme vous le dites si bien, Vouet concilie admirablement équilibre et dynamisme en jouant d'une subtile gamme de couleurs.
Je n'aurai pas l'occasion de voir cette expo à Besançon : merci donc pour votre compte-rendu détaillé.