
Henri Matisse, Le Bonheur de vivre, 1905-1906, huile sur toile, 175x241 cm, Merion, Barnes Foundation

selon ses pires détracteurs ! Si la pensée morellienne, nourrie par le positivisme de son temps, peut aujourd'hui être discutée, il n'en va pas de même de son goût artistique, d'une grande sûreté. Quelques-unes de ses acquisitions comptent d'ailleurs parmi les pièces maîtresses de l'Accademia Carrara : rien de moins que le Portrait de Lionello d'Este (1441 (?)) peint par Pisanello avec une obsession calligraphique pour les volumes du corps et les détails floraux, de sorte que son naturalisme passionné transforme l'image en emblème héraldique ; un Portrait de Julien de Médicis (vers 1478-1480), réalisé par Sandro Botticelli après la conjuration des Pazzi qui coûta la vie à ce frère cadet de Laurent le Magnifique en 1478, d'où l'absence et l'inexpressivité de celui qui n'est plus ; ou encore une Vierge à l'Enfant (signée, vers 1488) de Bellini, appartenant certes à un corpus pléthorique, mais d'une indéniable humanité dans le regard lourd de tristesse de la Madone et les membres potelés de son fils, devant un paysage de terraferma.
r aux effigies contemporaines de Titien, auquel il peut être comparé par la pose du modèle et la touche blanche de la chemise au milieu du velours noir ; quant au fond rocheux, il se rapproche plutôt de productions vénètes, de Bergame justement. Pareilles remarques s'appliquent à un portrait masculin de Cariani, ouvrant sur un paysage maritime, certainement lié à la puissance de Venise. Le Véronais Paolo Morando s'inscrit davantage à la suite de Giulio Romano, en particulier son Portrait de Margherita Paleologa, dans l'ampleur du vêtement d'apparat d'une noble dame. Mystérieuse et grotesque à la fois, une Figure allégorique (vers 1530-1540) n'en finit pas de déconcerter la critique : son attribution à Sodoma ne convainc guère et l'on peut même se demander s'il ne s'agit pas plutôt d'une œuvre exécutée en Italie du Nord à la fin du XVIe siècle, mélange de souvenirs de Giorgione et de trivialité populaire, dans la veine la plus crue de Niccolo Frangipane ou des Campi...Dans un registre très différent, le Portrait d'une jeune fille avec un éventail (vers 1740) de Giacomo Ceruti séduit par sa franchise et la simplicité de sa pose. Pourtant, le modèle ne dégage aucun charme. Surtout connu pour ses images de populations humbles, au point d'être surnommé Il Pitocchetto (le petit mendiant), Ceruti excelle ici à capter les apparences et les états d'âme de l'aristocratie par une touche fluide et tactile, trait de modernité qui fit comparer la toile à l'art de Degas ou Manet. Grand curieux, Morelli ne s'intéressa pas qu'aux peintres de son pays. Il réunit aussi des tableaux nordiques, parmi lesquels on peut citer un Roelant Savery, Paysage avec des chiens coursant un cerf (signé et daté 1626), où un drame sauvage se joue sous un ciel plombé à l'orée des bois ; mais aussi Le Satyre et le paysan (signé et daté 1662) dû à Barent Fabritius (frère de Carel), fable d'Ésope alors fort populaire et déjà illustrée par Jordaens, transposée en une véritable scène de genres aux vigoureux tons bruns, tirés de Rembrandt.
mo, délaisse l'enquête psychologique pour magnifier les riches atours, sans grande sensibilité.
Grand Canal, avec au fond le pont de Rialto, vu depuis la Ca'Foscari (vers 1728), il n'hésite pas à prendre des libertés avec la topographie pour un meilleur effet optique. L'un des premiers à s'engager dans cette voie fut Lucas Carlevarijs, auteur également de scènes de genre telles que Réception d'un ambassadeur (vers 1710-1720), immortalisant un de ces événements pour lesquels les puissants de Venise se plaisaient à se mettre en scène. Tout aussi important que semble le moment, il n'égale pas la force d'attraction des petites compositions de Longhi, bien que purement anecdotiques. Comme d'autres tableaux de l'artiste, Le Ridotto (vers 1757-1760) jette un regard critique, subtil et ambigu, sur ses contemporains. Dans la cité de tous les plaisirs, on ne trouve alors qu'une salle de jeu légale, ouverte seulement au moment du carnaval. D'où ces masques, signes de festivités, mais aussi pour cacher les visages des joueurs qui s'adonnent à des pratiques alors peu morales.


a figure endormie. Déliquescents, les fameux visages de cire de Medoardo Rosso (La Signora X, 1896 ; La Signora Noblet, 1897) traduisent à merveille ce état de torpeur, dans lequel les traits paraissent s'amollir, comme s'ils se fondaient dans la gangue où les intègre le sculpteur. Adolfo Wildt privilégie une approche plus traditionnelle de la forme pour Martirologio (1894), buste directement issu des chefs-reliquaires du Quattrocento afin de renouer avec une ferveur mystique. En 1919, Arturo Martini se souviendra de cette typologie pour modeler sa Fanciulla verso sera, mais simplifie au maximum les traits, se rapprochant même la géométrie harmonieuse des visages de Modigliani.
'art d'un artiste d'Utrecht comme Gerrit van Honthorst ? S'il peint le même sujet, Nicolas Mignard, frère aîné de Pierre, puise au classicisme émilien, empruntant à Guido Reni sa tendresse des chairs et le regard songeur (Saint Jean-Baptiste au désert, vers 1650). Reni dont on trouve également un écho chez Lubin Baugin dans sa Vierge à l'Enfant (vers 1650-1660), d'une grâce un peu artificielle qui doit également à l'art de Fontainebleau. Quant à La madeleine pénitente (vers 1630-1638) de Jacques Blanchard, alias "le Titien français", elle évoque en effet les toiles sur ce thème du maître vénitien, à cause de ce sensualisme tactile sous l'apparence d'une image de dévotion ; s'y reflète aussi l'éloquence décorative de Pierre de Cortone, l'un des plus grands peintres alors actifs à Rome. En parlant de peinture vénitienne, on prendrait presque pour une œuvre de Piazzetta La Tentation de saint Antoine (vers 1679), qui est pourtant due à un Lyonnais du XVIIe siècle, Pierre-Louis Cretey, d'une liberté de touche peu commune dans la peinture de son temps. Hélas, on ne verra rien de Nicolas Poussin, le plus romain des peintres français, mais qu'à cela ne tienne : Saint Charles Borromée secouant les pestiférés (vers 1665-1670) montre le Montpelliérain Sébastien Bourdon habilement tirer parti du maître. Plans et groupes très structurés, grande rhétorique gestuelle et emploi rythmique des trois couleurs primaires sont médités avec intelligence sur l'exemple de Poussin.
age à une palette diversifiée, où la couleur devient résolument expressive. Au rouge sanguin du juge répond le bleu froid de sa victime, opposition tempérée par le vert du soldat entre les deux protagonistes. Chronologiquement, la toile se situe entre les décors du Palazzo Medici-Riccardi à Florence (1682-1685) et ceux madrilènes du Buen Retiro (vers 16196-1697), quand Giordano élabore sa tonalité légère et aérienne, pré-rococo disent certains. Ses successeurs napolitains surent y trouver leur compte, tel Francesco de Mura, grand décorateur d'églises. Pareille activité requérait de petites esquisses préparatoires, que la sensibilité du temps considérait avec autant d'intérêt, si ce n'est davantage, que les œuvres définitives. Les teintes pastel dominent dans le modello pour Le Roi Salomon dirigeant la construction du Temple de Jérusalem (vers 1742), non sans quelques résurgences du XVIIe siècle dans des passages à la tonalité plus sourde ou certaines trognes.
lle du dessin toscan. La synthèse s'opère parfaitement chez Alessandro Rosi et son David avec la tête de Goliath, sujet alors très en vogue pour opposer la douceur un peu maniérée du jeune prophète à la brutalité de la dépouille ensanglantée du géant, comme on le retrouve à Milan chez Francesco Cairo (David avec la tête de Goliath, vers 1640). Sujet allégorique s'il en est, Le Temps démasquant le Mensonge (vers 1682) de Francesco Bolti se rattache à tout un langage spectaculaire, habilement parlé par Bernin ou Rubens. Toutefois, cette manière quelque peu vibrante, filandreuse même dans la chevelure de Saturne, se démarque de la production florentine, et offre plutôt des similitudes avec la peinture du Vicentin Francesco Maffei. Étape essentielle dans les carrières de Rubens, Vouet, Van Dyck ou Puget, Gênes abritait par ailleurs des artistes inventifs, ainsi Gregorio de Ferrari. Le Repos pendant la fuit en Égypte (vers 1675) renoue avec la tendresse de l'expression développée par Corrège ou Parmigianino dans ce type de scène, mais la vigueur du geste pictural se rapporte bien au milieu génois, comme on le constate également avec Benedetto Castiglione.
n réaction aux légèretés rocaille, domine véritablement la peinture française. Pour son premier tableau connu, Le Sacrifice d'Iphigénie (1749), le jeune Gabriel François Doyen garde la touche bien crémeuse de Boucher, appliquée à un drame antique. Le thématique du sacrifice devient alors à la mode, et même le voluptueux Fragonard s'y essaya plus tard. La majesté de Rome intensifie cette volonté chez deux peintres méridionaux : Pierre-Hubert Subleyras en quête d'une éloquence simple mais efficace comme en témoigne son Annonciation (vers 1740), et Joseph-Marie Vien, qui médite la peinture bolonaise pour aboutir à l'autorité formelle de son Saint Jérôme en prière (vers 1755). Il fallut toutefois attendre le premier séjour romain du meilleur élève de Vien, Jacques-Louis David, pour que s'opère une profonde évolution.
Les expositions parisiennes sur l'art italien du XIXe siècle se multiplient sans heureusement se ressembler. Avant une rétrospective Giuseppe de Nittis à l'automne, le Petit Palais revient sur les débuts de la photographie dans la péninsule_ soit entre l'invention du procédé et l'unité nationale menée par Garibaldi. Époque ô combien riche pour les arts et l'Histoire, mais dont la complexité peut paraître quelque peu rebutante. C'est pourquoi le propos est tout d'abord technique, afin de guider le visiteur guère familier des différents procédés. Alors que le français Daguerre mit au point un dispositif assez contraignant, défini par une épreuve unique et une sujétion encore forte aux médias traditionnels, l'anglais Talbot inventa en 1841 le calotype. La "belle image" peut être obtenue en plusieurs exemplaires, par tirage sur papier salé à l'aide d'un négatif. Les étapes de fabrication sont explicitées par une série de clichés et un film autour de Martin Becka : d'origine tchèque, cet ancien reporter installé en France s'est pris de passion pour la photographie ancienne, au point de développer lui-même en atelier ses négatifs suivant les méthodes du XIXe siècle. Il explique le déroulement de son travail avec autant d'enthousiasme que de pédagogie, renouant avec l'esprit des "pionniers".
ns eux-même se lancèrent dans pareil périple, parcourant leur nation sur le point de s'affirmer. L'un des premiers fut Giacomo Caneva avec son Album de photographie italienne (vers 1852), qui toutefois se cantonne essentiellement aux vestiges romains et aux trésors du Vatican. Après la disparition de Caneva en 1865, certains de ses négatifs servirent dans les années 1870 à Lodovico Tumicello, pour des développements sur papier. Quant à Luigi Sacchi, sa série des Vedute, monumenti e costume d'Italia (1852-1855), donc à la fois esthétique et ethnographique, opte pour des grands formats à la mise en page soignée, à même d'exalter la grandeur passée de Rome en plein Risorgimento. Avec Naples, dont la baie majestueuse et les curiosités archéologiques captivent James Graham, Venise retient la plus grande attention des premiers photographes. Nul ne s'étonnera que les édifices bordant le Grand Canal, assemblage mouvant de couleurs et de motifs caressés par le soleil et les eaux, se retrouvent sur les clichés les plus réussis : pris tous deux vers 1855, le palazzo Cavalli-Franchetti par Giuseppe Cimeta et le Palazzo Doria par Domenico Bresolin, avec les beaux effets de fondus dans les reflets et la diffraction des formes solides de l'architecture, renouvèlent l'iconographie de la vedute entre Canaletto et Monet. Du même Bresolin, toujours dans la Cité des Doges, l'abside de l'église des Frari (vers 1855) revêt aujourd'hui une valeur documentaire, tant les abords de la célèbre basilique franciscaine ont depuis changé. Pareil pour le Forum romain vu par Thomas Sutton (1851-1853) avant les grandes fouilles : entre l'arc de Titus et les vestiges du temple de Saturne, s'étend une grande plaine, sous laquelle dorment des ruines glorieuses...

rer la villa du comte Aldini à Montmorency. Une idée de sa production ornementale est donnée par toute une série de dessins de figures ailées, putti ou victoires, à portée souvent allégorique. Outre la diversité de manière entre le crayon, ferme, et l'encre, plus elliptique, la main varie aussi le traitement des corps, de la grâce un peu évaporée aux contours plus assurés mais aussi plus inquiets. On retrouve là toutes les nuances de la création à la fin du XVIIIe siècle, de la légèreté aimable propre à Thomire et Thorvaldsen aux formes plus sévères de David et Blake. Psyché adorée comme Vénus se rapproche même de l'exigence de Flaxman dans la pureté des profils et l'agencement des formes.Cette volonté d'expressivité du trait n'est pas moindre dans les gravures illustrant Le Notti romane (1804) d'Alessandro Verri, d'après les dessins de Giani. Le recours à l'aquatinte permet de créer une ambiance à la limite des fantasmagories de Füssli et ses ténèbres tragiques, d'où jaillissent le meurtre et l'effroi au temps des anciens Romains. Les deux ensembles de dessins appartenant à Vittorio Sgarbi (un recueil de voyages et des illustrations de Dante) révèlent aussi une hésitation fascinante entre le culte du beau antique et le doute sur sa suprématie, interrogation propre à ces temps troublés.
Louvre. Ou plutôt le Musée Napoléon, abritant alors la collection la plus riche jamais constituée, grâce aux "prises de guerre" artistiques des armées françaises dans toute l'Europe. Ces dessins donneront lieu à des gravures illustrant Le Musée Français publié entre 1803 et 1809, puis Le Musée Royal entre 1816 et 1818, soit le Louvre après le Congrès de Vienne. Des collections constituées sous le Premier Empire, furent notamment copiés La Déposition de Caravage (Le Vatican, Pinacothèque), L'Annonciation d'Orazio Gentileschi (Turin, Galleria Sabauda), Le Christ avec les quatre évangélistes de Fra Bartolommeo (Florence, Palazzo Pitti), pour ne citer que les tableaux italiens temporairement conservés à Paris avant de revenir de l'autre côté des Alpes. Voilà comment s'achève ce parcours fort intéressant mais qui pourrait laisser sur sa faim : dans ce cas, direction l'étage supérieur où le visiteur pourra se livrer à une autre forme de délectation. Après le plaisir de l'œil, le goût est à l'honneur avec une dégustation gratuite de produits gastronomiques de la région du Monferrato, d'où était issu Giani. Vin, chocolat et grissini offrent un délicieux complément culturel aux beaux-arts.