mercredi 24 décembre 2008

Le Futurisme à Paris une avant-garde explosive : exposition à Paris, Centre Pompidou

En 1909, alors que Paris avait supplanté Rome comme capitale des arts depuis près d'un siècle, quelques artistes italiens installés dans la capitale française proclamaient la naissance d'un nouveau mouvement esthétique, prônant une modernité industrielle et urbaine radicale face au poids du classicisme de leur culture d'origine. N'en déplaise au Centre Pompidou, le futurisme n'est pas à proprement parler la première avant-garde du XXe siècle, puisque déjà le fauvisme en 1905 et le cubisme en 1907 bousculent le paysage artistique. Toutefois, on saura gré aux organisateurs de l'exposition d'avoir présenté une vision toutes en nuances de cette esthétique de la machine et de la vitesse, en la comparant à tous les "isme" occupant le devant de la scène culturelle en Europe jusqu'en 1914.

Si l'on peut définir le futurisme comme une réaction à l'art développé par Picasso, Braque et leurs émules, il ne faut pas seulement y voir une réaction uniquement au traitement du nu ou à la restriction de la palette. Les causes de cette opposition initiale tiennent aussi aux tenant et aux aboutissants de ces deux tendances plastiques : alors que le cubisme cherche à saisir tous les aspects d'un objet à un moment quelconque_ ou, pour le dire autrement, donner sur la toile une définition formelle totale de l'objet sans considérations temporelles, le futurisme se veut expression de la forme et ses mouvements dans la fugacité de l'instant, avec une décomposition presque obsessionnelle du geste et ses conséquences dans un contexte temporel précis, d'où l'engouement pour la machine et les foules. Le poète Marinetti expose avec fougue et révolte ses arguments dans un Manifeste du futurisme publié dans Le Figaro (journal pourtant aujourd'hui peu révolutionnaire...), bel exercice de rage littéraire qui n'attendait plus que des prolongements picturaux. Utopique à l'extrême, Marinetti propose en 1911 de réinventer Venise à la mode ultra-moderne, quitte à détruire le Rialto ou Saint-Marc pour y bâtir des usines et même une Tour Eiffel !

Les commissaires de l'exposition ont cédé à la mode d'inviter un artiste contemporain dans les salles et, alors que cette tendance se révèle trop souvent artificielle, l'initiative est ici réussie. Une installation sonore et visuelle de Jeff Mills, pionnier de la musique techno à Détroit dans les années 1980, mêle images saccadées et sons électro cristallisant les angoisses modernes dans une veine proche du Dark Side of the Moon de Pink Floyd. Toutefois, ajoutons une autre référence musicale, pas si éloignée du futurisme, omise par le panneau évoquant la création récente à Détroit : si, à côté de Jeff Mills, Motown s'est imposé comme un label mythique pour la musique noire américaine depuis les années 1960, les seventies de la cité automobile ont aussi été marqués par Iggy Pop et ses sulfureux Stooges, promoteurs déchaînés d'un rock nihiliste, volontiers bruitiste au point d'être taxé de garage, préludant aux assauts punk dont le credo sera..."no future" ! En bref, l'antithèse de nos héros de 1909.

L'épreuve du feu des peintres futuristes italiens sur la scène parisienne eut véritablement lieu en février 1912 lors d'une exposition organisée par la Galerie Bernheim Jeune et Cie, dont la plupart des toiles alors réunies sont exposées dans la salle centrale du parcours. Le futurisme s'articulait à ce moment autour de quatre jeune gens dans le vent du progrès, à l'affût des soubresauts de la ville fiévreuse, lumineuse et instable : Russolo, auteur d'une Révolte que rien ne saurait arrêter ; Severini décomposant le spectacle urbain en une mosaïque de parallèlèpipèdes imbriqués ; Boccioni, qui bouscule l'espace pictural en y intégrant signes et symboles dans un esprit pas si éloigné du cubisme ; et le très lyrique Carrà, digne héritier de l'impressionnisme par sa capacité à restituer la banalité par une touche aux vibrations exaltées et parfois fondues, et son coloris magnifiant l'éclat terne des rues le soir.



Alors que ce petit monde exhibe ses aspirations artistiques nouvelles, d'autres s'engouffrent dans des voies tout aussi originales : en 1912, non seulement Picasso mène le cubisme dans ses aboutissements les plus extrêmes avec une peinture synthétique et la mise au point du collage, mais aussi Kandinsky monte au créneau de la modernité en osant la première œuvre revendiquée comme non figurative (une aquarelle conservée dans les collections permanentes du Centre Pompidou). D'ailleurs, dès cette cruciale année 1912, les frontières se dissipent et chacun zyeute les coups d'éclats que propose tel ou tel pionnier. Cubisme et futurisme trouvent ainsi un terrain d'entente, grâce notamment à des "hybrides" tels que Fernand Léger s'essayant à des formes tubulaires saisies en pleine action ou encore Robert Delaunay dont L'Equipe de Cardiff (3e représentation) plaque un match de rugby devant sa chère Tour Eiffel, selon des modalités formelles et coloristes rappelant la peinture de Severini. La crise du cubisme des origines culmine avec le Salon de la Section d'or de 1912 (organisé peu après la fameuse exposition futuriste), où prédomine un éclectisme révélateur des émulations, interrogations et autres tensions provoquées par les artistes italiens : alors que les grands formats de Picabia ressemblent à des explosions de formes errantes, ou que Kupka décompose le mouvement d'une femme cueillant des fleurs dans une série de pastels s'attachant à l'harmonie de l'action (ensemble apparemment influencée par la chronophotographie d'Etienne-Jules Marey), Marcel Duchamp propose une synthèse convaicante entre Picasso et Boccioni avec son fameux Nu descedant un escalier, décrivant les rythmes successifs du corps dans des teintes ocres.

Le succès du futurisme dépasse largement la sphère parisienne, entre autres grâce à la bonne parole d'un Marinetti jouant les missionnaires en Russie ou en Grande-Bretagne. Dans un pays encore dominé pour peu de temps par le pouvoir tsariste s'épanouit néanmoins une vie intellectuelle très moderne et au fait des tendances développées en France : dans la peinture russe, le futurisme sert de base aux expériences rayonnistes de Larionov et Gontcharova, tandis que Malévitch y trouve les éléments formels nécessaires aux futures rigueurs géométriques du suprématisme. L'effervescence n'est pas moindre outre-Manche, où se développe un vorticisme adepte de la froideur industrielle et de l'univers mécanique.



Au final, le futurisme s'estompe aussi vite qu'il était apparu, pareil à ces bolides fendant l'air dont il avait fait des sujets de tableau. Ne résistant pas longtemps à l'appel des influences si nombreuses dans la peinture européenne de l'époque, cette esthétique se dissout ou plutôt aboutit à un mariage de raison avec la couleur pure mise en mouvement par le cercle et la courbe. Cette synthèse aux accents musicaux a son théoricien, Apollinaire, qui lui donne justement le nom d'orphisme. Sonia Delaunay en est une des plus brillantes représentantes, avec ses grandes toiles fascinantes d'équilibre chromatique et formel, régulièrement associées aux écrits de Blaise Cendrars, qu'on peut qualifier d'abstraites. Pourtant, plus que les évolutions culturelles, c'est bien la première guerre mondiale qui mit un terme au futurisme : ironie de l'histoire, un attentat anarchiste, la violence belliqueuse, la froideur du métal ou le bruit des armes, si vantés par le mouvement, devaient freiner toutes les avant-gardes et leur imposer une modernité non plus désinvolte dans sa théorie audacieuse mais atroce dans sa tragique réalité.


Le Futurisme à Paris une avant-garde explosive, du 15 octobre 2008 au 26 janvier 2009. Centre Pompidou, Place Georges Pompidou 75004 Paris. Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 11H00 à 21H00 ; nocturnes le jeudi jusqu'à 23H00 . Tarif plein : 12 euros ; tarif réduit : 9 euros. Catalogue sous la direction de Didier Ottinger (Paris, Editions du Centre Pompidou, 400 pages, 39,90 euros).

Références photographiques :
- Carlo Carra, L'Uscita dal teatro (La Sortie du théâtre), 1909, huile sur toile, 69x91 cm, Londres, Collection Estorick
- Gino Severini, La Danse du "pan-pan" au Monico, 1909-1911/1959-1960, huile sur toile, 280x400 cm, Paris, Centre Pompidou/Musée national d'art moderne (C) ADAGP
(C) Photo CNAC/MNAM, Dist. RMN / Droits réservés

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai "zyeuté" (je ne savais pas comment écrire ce mot qui n'est pas dans le Robert mais qui a l'avantage d'être très imagé)avec bonheur cet article sur le futurisme, expo qui a enthousiasmé mes amis italiens mais que j'ai refusé de voir car je pensais que l'Art s'arrête à la fin du XIX° siècle !
raphael45

Benjamin Couilleaux a dit…

A mon humble avis, c'est l'une des meilleurs expos organisées à Paris ces dernières années sur l'art italien moderne depuis Novocento au Grand Palais...donc à ne pas bouder, si possible !